« Strange Fruit » : différence entre les versions

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'''''{{lang|en|Strange Fruit}}''''' (littéralement « fruit étrange ») est une chanson interprétée par la [[chanteuse]] [[États-Unis|américaine]] [[Billie Holiday]] pour la première fois en [[1939]], au [[Café Society (club)|Café Society]] de [[New York]].
 
Tirée d'un poème écrit et publié en 1937 par [[Abel Meeropol]], c'est un réquisitoire artistique contre le [[racisme aux États-Unis]] et plus particulièrement contre les [[lynchage]]s que subissent les [[Afro-Américains]], qui atteignent alors un pic dans le [[sud des États-Unis]]<ref>{{lien web |url=http://www.chesnuttarchive.org/classroom/lynchingstat.html |titre=Lynching Statistics for 1882-1968 |périodique=Chesnuttarchive.org |date= |consulté le=21 juillet 2013 |brisé le= }}.</ref>{{,}}<ref>{{lien web|url=http://histclo.com/essay/war/acr/acr-lynch.html |titre=War and Social Upheaval: the American Civil Rights Movement - lynching |périodique=Histclo.com |date= |consulté le=21 juillet 2013}}.</ref>.
Meeropol l'a mis en musique avec l'aide de son épouse Anne Meeropol, et la chanteuse {{Lien|lang=en|trad=Laura Duncan (American singer)|fr=Laura Duncan (chanteuse)|texte=Laura Duncan}} l'interprète comme une chanson de protestation sur les scènes de [[New York]] à la fin des [[années 1930]], y compris au [[Madison Square Garden]].
 
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== Similitudes avec le poème ''Le Verger du roi Louis'' ==
Le texte de ''{{lang|en|Strange Fruit}}'' présente de nombreuses analogies avec le poème français ''La Ballade des pendus'', connu sous le titre ''[[Le Verger du roi Louis]]'', écrit par [[Théodore de Banville]] et publié en 1866<ref>{{Lien web|langue=français|auteur1=Loïc Céry|titre=Strange Fruit, histoire d'un chant par Loïc Céry (Les dossiers de l'Institut du Tout-Monde)|url=http://www.tout-monde.com/dossiers3c.html|site=www.tout-monde.com|date=|consulté le=30 janvier 2017}}.</ref>{{,}}<ref name=":0">{{Lien web|langue=français|auteur1=Bertrand Dicale|titre=Ces chansons qui font l'histoire - Les chroniques de Bertrand Dicale diffusées sur France Info - Strange Fruit|url=http://eduscol.education.fr/chansonsquifontlhistoire/Strange-Fruit|site=http://eduscol.education.fr|date=2 août 2010|consulté le=30 janvier 2017|brisé le = 2023-12-03}}.</ref>. Ce poème, mis en musique et chanté en 1960 par [[Georges Brassens]], évoque en effet les {{citation|chapelets de pendus}} du {{citation|verger du roi Louis}} ([[Louis XI]]) et les compare à des {{citation|grappes de fruits inouïs}}<ref>{{Ouvrage|langue=fr|auteur1=Théodore de Banville|titre=Gringoire, comédie en un acte|lieu=Paris|éditeur=Michel Lévy|année=1866|passage=page 65|lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9600090p/f41.item.r=verger}}</ref>. Ce poème a été traduit en anglais en 1913 et si les références communes aux deux textes ont été souvent relevées, la certitude d'une réelle inspiration de la part d'Abel Meeropol ne semble pas établie<ref name=":0" />.
 
== Interprétation ==
{{Article détaillé|Billie Holiday}}
Billie Holiday hésita tout d’abord à interpréter ''{{lang|en|Strange Fruit}}'' sur scène car la chanson se démarquait de son répertoire habituel de standards et de chansons d'amour. Mais [[Barney Josephson]] la poussa à accepter la proposition de Meeropol. [[Daniel Mendelsohn]] mit au point les arrangements<ref>{{cita|Billie Holiday savait parfaitement quel était le sujet de ''Strange Fruit'', et ce jusque dans le moindre détail, jusqu’au moindre mot, jusqu’à la moindre note. L’atteste en tout cas le fait qu’elle ait cherché, avec l’aide du pianiste Sonny White et de l’arrangeur Danny Mendelsohn, à récrire la mélodie et l’harmonie (relativement insipides) du morceau, passant de la tonalité en ''do'' mineur initialement prévue par Abel Meeropol à une tonalité en ''si'' bémol mineur, plus complexe, plus sombre, plus dramatique.}} ''Voix sans issue'', de Jean Jamin, dans ''L'Homme'', 2004/2 (n° 170).</ref>. Après la première interprétation par Billie Holiday du morceau au Café Society, la salle resta tout d’abord plongée dans un lourd silence puis de timides applaudissements se firent entendre, qui s’amplifièrent au fur et à mesure. Considéré jusque-là comme un chant de lutte communiste ou une complainte (souvent interprétée de façon exagérément pathétique), ce titre prit une nouvelle dimension. Un biographe de Billie Holiday fit remarquer que, dans nombre de reprises, on entendait une excellente interprétation d’un très bon morceau, mais que lorsque Billie l’entonnait, on avait l’impression d’être au pied de l’arbre. Le caractère direct et incisif de son interprétation touchait un public nettement plus large que ne l’aurait fait une approche politique ou compatissante. ''{{lang|en|Strange Fruit}}'' devint la chanson phare du Café Society tout le temps que Billie Holiday y chanta, et par la suite elle resta l'une des chansons favorites de la diva. Billie Holiday prit l'habitude de chanter ''Strange Fruit'' en fin de programme. Elle demandait alors le silence et les lumières s'éteignaient, mis à part un spot braqué sur la chanteuse, qui gardait les yeux fermés pendant toute l’introduction. Puis elle articulait lentement les paroles, donnant à chaque mot le poids nécessaire, avant de conclure la chanson comme un cri, puis de baisser la tête avant qu'on ne fasse l'obscurité complète. Lorsque la lumière revenait, la scène était vide. Pour Billie Holiday, la chanson était soit une source de partage avec un public amical, soit un défi vis-à-vis d’un auditoire qui, selon elle, ne lui manifestait pas suffisamment de respect. Elle écrivit dans son autobiographie : {{citation|Cette chanson permettait de faire le tri entre les gens bien et les crétins.}} Billie Holiday, qui ne partait que rarement en tournée dans les États du sud, y interprétait peu fréquemment ''{{lang|en|Strange Fruit}}'' car il était clair qu’il risquait d’y avoir du grabuge. Ce fut le cas à Mobile, en [[Alabama]], où elle fut chassée de la ville rien que pour avoir essayé d’entonner le morceau.
 
== Enregistrements ==
[[Columbia Records]], avec qui Billie Holiday était sous contrat à l’époque, refusa de produire l’enregistrement de ''Strange Fruit''. Comme la maison de production ne fit aucune déclaration officielle à l’époque, on ne peut que supputer les motifs de son refus. D’une part, le public blanc du [[Sud des États-Unis]] trouvait la chanson trop subversive et sa publication aurait eu des répercussions négatives sur les affaires ; d’autre part, elle représentait un véritable hiatus dans le répertoire standard de Billie Holiday, qui comportait essentiellement des chansons traditionnellement jouées dans les boîtes de nuit. Finalement, la chanteuse obtint l’accord de [[Commodore Records]], une petite maison de disques juive de la [[42e rue|{{42e|rue}}]] de New York, pour enregistrer ''Strange Fruit'' avec le {{Lang|en|texte=''Café Society Band''}} (composé de [[Frank Newton]] à la trompette, [[Tab Smith]] au saxophone alto, [[Kenneth Hollon]] et [[Stanley Payne]] au saxophone ténor, [[Sonny White]] au piano, [[Jimmy McLin]] à la guitare, {{Lien|trad=John Williams (bassist)|fr=John Williams (bassiste)|texte=John Williams}} à la basse et {{Lien|langue=en|fr=Eddie Dougherty}} à la batterie)<ref>{{en}} {{Lien web| url=http://www.billieholidaysongs.com/all_songs.htm#1939| titre=Session #36 New York, 20 April 1939| série=Billie Holiday Studio Songs| mois=11| année=2010| site=www.billieholidaysongs.com|brisé le = 2023-12-03}}.</ref>.
 
=== Reprises ===
Paradoxalement, bien que ce morceau fasse partie intégrante de l’histoire de la musique américaine et qu’il reste très apprécié du public, il n’est que rarement interprété. Pour nombre d’auditeurs, la chanson, et notamment son interprétation par Billie Holiday, est jugée déstabilisante, voire douloureuse à entendre. Pour un chanteur, interpréter ce morceau est une véritable gageure car la version de Billie Holiday fait date, d’où une pression énorme.
 
Parmi les autres interprètes célèbres de ''{{lang|en|Strange Fruit}}'', on peut citer (tentative d'ordre chronologique) : [[Ella Fitzgerald]], [[Nina Simone]], [[Carmen McRae]], [[Josh White]], [[Diana Ross]], [[Robert Wyatt]]<ref name=":1">{{Lien web |langue=fr |titre=“Strange Fruit”, standard de jazz et réquisitoire contre le racisme |url=https://www.telerama.fr/musique/strange-fruit-standard-de-jazz-et-requisitoire-contre-le-racisme-7008649.php |site=Télérama |date=2022-02-06 |consulté le=2022-02-07}}.</ref>, [[Jeff Buckley]], [[Marcus Miller]] (à la clarinette basse), [[Cassandra Wilson]], [[Sting]], [[Mary Coughlan (chanteuse)|Mary Coughlan]], [[Jimmy Scott]], [[Lou Rawls]], [[India.Arie]].
 
Par ailleurs, cette chanson a été aussi reprise par : [[Seu Jorge]]<ref name=":1" />, [[Tori Amos]], [[Pete Seeger]], [[Dee Dee Bridgewater]], [[Cocteau Twins]]<ref name=":1" />, [[Eartha Kitt]], [[Jean Leloup]] et [[Tchéky Karyo]] dans son album ''Ce lien qui nous unit'' ; en outre, [[Tricky]] en a réalisé un remix et [[Lester Bowie]] une version instrumentale avec son groupe ''Brass Fantasy''.
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** Thierry Machuel dans sa composition d'œuvre moderne{{refnec}}.
** [[Annie Lennox]] sur son album de reprises ''[[Nostalgia (album d'Annie Lennox)|Nostalgia]]'' sorti le {{date-|21 octobre 2014}}.
* En 2015, [[José James]] sort le disque ''Yesterday I Had the Blues: The Music of Billie Holiday.'' Le disque reprend neuf chansons écrites ou popularisées par Billie Holiday. ''Strange Fruit,'' étant une d'entre elles<ref>{{Lien web |langue=fr |auteur= |titre=José James to release |url=http://www.bluenote.com/jose-james-yesterday-i-had-the-blues/ |site=www.bluenote.com |date= |consulté le=2020-10-19}}.</ref>
* En 2017, lors de l'[[investiture de Donald Trump]] à la [[Président des États-Unis|présidence des États-Unis]], [[Rebecca Ferguson (chanteuse)|Rebecca Ferguson]] accepte de chanter lors de la cérémonie uniquement si elle peut interpréter ''Strange Fruit''<ref>{{lien web|url=https://www.franceculture.fr/musique/strange-fruit-hymne-anti-racisme-linvestiture-de-donald-trump|titre="Strange Fruit", hymne anti-racisme, à l'investiture de Donald Trump ?|auteur1= Pierre Ropert|éditeur=[[France Culture]] |date =4 janvier 2017}}.</ref>.
* En 2018, [[Zeal and Ardor|Zeal & Ardor]] y fait référence dans l'album ''[[:en:Stranger_Fruit|Stranger Fruit]]'' et la chanson du même nom, reprenant le motif du corps pourrissant<ref>{{Lien web |langue=en |prénom=Stephen Hill07 |nom=June 2018 |titre=Zeal & Ardor – Stranger Fruit track by track |url=https://www.loudersound.com/features/zeal-and-ardor-stranger-fruit-track-by-track |site=Metal Hammer Magazine |consulté le=2020-11-12}}.</ref>
*En 2018, Dominique Fils-Aimé reprend ce titre dans l'album Nameless.
* En 2020, [[Bettye LaVette]] reprend la chanson dans son album ''Blackbirds''<ref>[https://www.rollingstone.com/music/music-news/bettye-lavette-strange-fruit-billie-holiday-1014411/ Bettye LaVette Unleashes Cover of Billie Holiday’s ‘Strange Fruit’], Claire Shaffer, [[Rolling Stone]], 12 juin 2020.</ref>.
 
== Répercussions ==
Pour le [[Mouvement des droits civiques aux États-Unis|mouvement des droits civiques]], ''Strange Fruit'', de par sa dimension symbolique, eut un effet comparable au refus de [[Rosa Parks]] de céder sa place à un Blanc dans un bus, le {{date|1 décembre 1955}}. Outre ''[[We Shall Overcome]]'' et peut-être aussi ''{{lien|langue=en|fr=[[The Death of Emmett Till|trad=The Death of Emmett Till}}]]'' de [[Bob Dylan]], aucune autre chanson n’est aussi intimement liée au combat politique des Noirs pour l’égalité. Élevée au rang de ''Marseillaise noire'' ou qualifiée avec mépris de chanson de propagande à ses débuts, la chanson a progressivement pris une dimension apolitique, en tant que réquisitoire pour la dignité et la justice.
 
Le livre ''Blues Legacies and Black Feminism'' d’[[Angela Davis]] a joué un rôle important dans la manière dont Billie Holiday était perçue. Jusque-là, la chanteuse était considérée comme une « simple chanteuse de variété », autrement dit un pur vecteur de son répertoire. Or, les recherches d’Angela Davis ont révélé une femme pleine d’assurance, tout à fait consciente du contenu et de l’effet de ''Strange Fruit''.