« David Golder » : différence entre les versions

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{{En-tête label|AdQ|année=2019}}
{{Voir homonymes|David Golder (homonymie)|Golder}}
{{Infobox Livre
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| dateparution = [[1929 en littérature|1929]]
| genre =
| image = Nemirovsky-irene-david-golder-edition-originaleCouverture DG Grasset.jpg
| légende = Couverture de ld'une édition originaledes {{nobr|années 1930}}.
| alternative = Couverture de livre claire avec caractères et logo noirs encadrés d'un liséré rougebleu
| taille image = 200
| dessinateur =
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| suivant =
}}
'''''David Golder''''' est un roman d'[[Irène Némirovsky]] (1903-1942) paru  en [[1929 en littérature|1929]] et dont le succès l'a révélée comme écrivaine.
 
Issu d'un [[ghetto]] de la [[Zone de résidence]] de l'[[Empire russe]], le héros [[Éponymie|éponyme]] s'est enrichi grâce à son avarice et son implacabilité dans des [[spéculation financière|spéculations financières]] parfois douteuses. Il fait faillite alors que des problèmes cardiaques l'obligent à se ménager : à bout de forces, ce n'est pas pour lui-même, ni pour sa femme cupide, mais pour leur fille, frivole et égoïste, qu'il part négocier un contrat pétrolier en [[Union des républiques socialistes soviétiques|Union soviétique]], où il rencontre sa fin.
 
Inspiré à Némirovsky par les milieux [[Bourgeoisie|bourgeois]] [[Nouveau riche|parvenus]] que fréquentent ses parents, ce [[roman de mœurs]] contemporain virant au drame existentiel séduit à l'époque pour sa peinture sévère et sans concession du monde de l'argent. Des critiques visent en revanche sa représentation des [[Juifs]], empreinte de [[stéréotype]]s, même si l'auteurauteure est elle-même juive et affirme s'être fondée sur des observations personnelles, loin de toute généralisation [[Antisémitisme|antisémite]].
 
La polémique resurgit aux [[États-Unis]] dans les [[années 2000]], quand sont redécouverts les livres d'Irène Némirovsky, tombés dans l'oubli après sason mortassassinat en [[1942]] à [[Auschwitz]] : certains journalistes s'appuient en particulier sur les traits physiques et moraux des personnages de ''David Golder'' pour faire de la romancière un parangon de la [[haine de soi juive]]. Rappelant que ce texte {{incise|dont elle regrettait dès 1935 certains passages pouvant paraître antisémites}} est antérieur au triomphe du [[nazisme]] et à la [[Shoah]], les spécialistes de son œuvre jugent toutefois aujourd'hui bien plus subtils ses rapports à la [[identité juive|judéité]], qui, sans être vierges de toute dimension accusatoire, sont loin d'être univoques pour autant.
 
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Irène Némirovsky travaille environ quatre ans au manuscrit de ''David Golder'' tout en publiant quelques textes courts.
 
L'idée lui en serait venue en 1925 au cours de ses dernières vacances de jeune fille avec ses parents, dans un [[Palace (hôtel)|palace]] de [[Biarritz]] : si elle n'a pas forcément croisé [[Alexandre Stavisky]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=178}}, elle a pu contempler, dira-t-elle, le {{citation|spectacle de tous ces oisifs détraqués et vicieux, de tout ce monde mêlé de financiers douteux, de femmes à la recherche de plaisir et de sensations nouvelles, de gigolos, de courtisanes, etc.{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=79-80}} }}.
 
Voulant décrire le milieu des hommes d'affaires juifs d'origine russe qu'elle côtoie depuis l'enfance{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=79}}, elle songe à son père, banquier qui ne fait plus que [[Spéculation financière|spéculer]] à court terme, et au couple factice qu'il forme avec sa mère : celle-ci fuit la vieillesse dans l'[[adultère]] tandis que lui ferme les yeux, ils n'ont plus en commun que de l'argent et leur fille {{incise|bon sujet de scénario|stop}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=197}}. Elle s'inspire aussi de magnats du [[pétrole]] et du milliardaire [[Alfred Loewenstein]], dont les projets de lotissement pour élite richissime défraient alors la chronique de la [[côte basque]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=181}}.
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== L'univers de la fiction ==
=== Résumé ===
Paris, 1926. Une âpre dispute oppose le spéculateur David Golder à son vieux partenaire Simon Marcus  : celui-ci lui demande de l'aider à se renflouer en lui revendant des [[Action (finance)|actions]] pétrolières russes sans valeur ou en relançant avec lui des négociations dans la région de « Teïsk », en [[Union des républiques socialistes soviétiques|Union soviétique]]{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=9}}. Responsable des difficultés de Marcus, qu'il a doublé pour ne pas l'être lui-même{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=192}} en s'alliant au banquier Tübingen, Golder refuse  : il liquide de ce fait leur association à la tête de la « Golmar ». Marcus se suicide le soir même dans une [[Lupanar|maison close]]{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=9}}.
 
Plus tard, à bord du train de nuit qui l'emmène à [[Biarritz]] rejoindre sa femme Gloria et leur fille Joyce, Golder frôle l'[[Arrêt cardiorespiratoire|arrêt cardiaque]]{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=10}}. Il trouve sa luxueuse villa envahie comme d'habitude par quantité de parasites, parmi lesquels Hoyos, vieil amant de Gloria, Fischl, escroc notoire, et Alexis, aristocrate décadent dont Joyce est éprise{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=197}}. À force de cajoleries, la jeune femme, qui mène une vie aussi dispendieuse que dissolue, persuade son père de [[Jeu#Jeux d'argent|jouer]] pour elle au [[Casino (lieu)|casino]]  : au petit matin, épuisé, il lui donne {{formatnum:50000}} francs puis s'écroule, victime d'un [[Infarctus du myocarde|infarctus]]{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=12}}.
 
Épouvantée à l'idée de devoir renoncer à son train de vie si son mari décède mais aussi s'il se retire des affaires, Gloria lui cache la gravité de son état{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=201}}. Lui-même est las de travailler dur et de payer pour les autres  : toutefois, les [[Valeur mobilière|valeurs]] de la Golmar P s'étant effondrées, il voudrait encore se montrer sur les places [[Bourse (économie)|boursières]] et se rendre à Teïsk régler un accord amorcé par Tübingen. Sa femme le harcèle pour qu'il mette à son nom plus que les [[Bien meuble|biens meubles]] qu'elle a déjà : Golder lui ayant signifié que tout irait à Joyce, elle lui révèle que sa fille n'est pas de lui mais de Hoyos{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=14}}.
 
[[Fichier:К.В. Богаевский. Бакинские нефтяные промыслы. 1930.jpg|vignette|upright=1.1|alt=Peinture dans des tons ternes représentant un paysage avec baraques et têtes de puits en bois|[[Constantin Bogaïevski]], ''Gisement de pétrole à Bakou'' (1930).]]
 
La faillite de David Golder est consommée, sa maison de Biarritz vendue. Rongé par la maladie et la tristesse, il vivote seul dans son appartement parisien videvidé par sa femme pour vendre les meubles ; le soir il joue aux cartes avec son ami Soifer, [[millionnaire]] avare{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=89}}. Tübingen tente en vain de le convaincre d'aller en [[Union des républiques socialistes soviétiques|URSS]] défendre leurs intérêts. C'est alors que surgit Joyce, toujours aux abois et prête à épouser pour son argent le vieux Fischl  : révulsé à cette idée, David cède une fois encore à sa tendresse pour elle{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=201}} mais aussi à son orgueil d'Hommes d'affaires : il refuse de laisser Fischl se vanter d'avoir pris sa fille dans la misère : {{Citation|Et puis, il dira, le salaud... « la fille de Golder que j'ai prise avec rien... une
chemise sur le dos !... »}}.
 
Après quatre mois de discussions acharnées, Golder finalise le contrat d'exploitation et de commercialisation du [[pétrole]] de Teïsk avec les représentants du [[Conseil des ministres de l'URSS|gouvernement soviétique]]. PuisLa signature du contrat le laisse déja dans un état lamentable qu'il empire en allant à Teïsk en voiture pour et de Teisk il embarque pour la France du port de la [[mer Noire]] d'où il était parti étant jeune. La traversée est très houleuse{{note|Irène Némirovsky s'est souvenue ici de l'effroyable tempête qu'avait essuyée dix ans plus tôt le cargo qui l'amenait en France avec ses parents fuyant la [[révolution russe]]{{sfn|id=OC|Corpet (dir.)|2010|p=64}}.|group=alpha}} et il fait une nouvelle crise cardiaque. Soutenu par un jeune émigrant juif qu'il tente de dissuader de courir après la fortune, il se met à délirer en [[yiddish]] et s'éteint après avoir vu défiler jusqu'à ses plus lointains souvenirs du [[shtetl]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=201}}. Il meurt en demandant au jeune juif de rendre visite au notaire Seton, et à Tubingen afin de mettre sa fille à l'abri du besoin.
 
=== Aspects formels ===
La composition simple et le style trivial de ''David Golder'' le rendent très vivant{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=221}}.
 
Chronologique, le récit est découpé en courts chapitres non numérotés et sans titres : [[Paul Renard]] fait remarquer chez la romancière, qui s'essaiera plus tard à une écriture de type [[Scénario|scénaristique]]{{sfn|id=PR|Renard|2012|p=47}}, ces blocs narratifs pareils à des [[Séquence (cinéma)|séquences]], ainsi que l'absence de longues [[description]]s{{sfn|id=PR|Renard|2012|p=49}} et l'abondance de [[dialogue]]s {{sfn|id=PR|Renard|2012|p=48}}.
 
Ceux-ci frappent par un [[registre de langue]] familier voire cru{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=184}}. Après le « non » initial {{incise|dont l'auteur était très fière}} qui plonge le lecteur ''[[in medias res]]'', en pleine conversation entre Golder et Marcus, l'[[incipit]] donne le ton{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=209}} : {{citation|En 1920, quand tu les as achetées, tes fameuses pétrolifères, ça valait quoi ? […] Maintenant tu te rends compte que des terrains pétrolifères en Russie, en 1926, pour toi, c'est de la merde ? Hein{{sfn|gr=Gold|id=Gold|texte=''David Golder''|p=11-12}}{{,}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=209}} !}} Le texte est cousu de telles répliques sans fioritures, comme dans une scène où Gloria s'emporte contre David{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=209}} : {{citation|Brute !… Chien !… Tu n'as pas changé{{sfn|gr=Gold|id=Gold|texte=''David Golder''|p=117}} !… […] Je ne t'ai pas trompé… Car on trompe un mari… un homme qui couche avec vous… qui vous donne du plaisir… Toi !… Mais il y a des années que tu es un vieillard malade… une loque{{sfn|gr=Gold|id=Gold|texte=''David Golder''|p=121}}{{,}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=209}}…}} À mesure que le protagoniste renoue avec ses origines, Némirovsky ajoute quelques mots de [[yiddish]], langue de son père{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=226}}.
 
Le langage hargneux voire {{citation|ordurier}} pointé à l'époque par certains critiques va de pair avec des détails qu'ils jugent vulgaires, tels les sous-entendus de Joyce sur le [[voyeurisme]] de Hoyos{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=224}}. La romancière manie l'art de la suggestion comme les amplifications quasi [[Épopée|épiques]]. Si elle se contente ainsi d'indiquer que Golder suffoque quand Marcus quitte son bureau, signe d'un premier malaise, elle rend spectaculaire sa chute au casino : {{citation|Et au même moment, le grand corps bascula d'une manière étrange et effrayante ; il leva les deux bras en l'air, laboura le vide, puis s'écroula, avec ce bruit sourd et profond, comme un gémissement, qui semble monter des racines vivantes d'un arbre abattu, jusqu'à son cœur{{sfn|gr=Gold|id=Gold|texte=''David Golder''|p=72}}{{,}}{{sfn|id=PR|Renard|2012|p=52}}.}}
 
Némirovsky utilise en outre, de façon semble-t-il intuitive, des techniques narratives qu'elle systématisera après avoir lu des ouvrages sur l'art de la fiction : le [[Point de vue narratif|point de vue interne]] (ici celui du héros) et le [[discours indirect libre]]. Par exemple, contrairement à celle de Soifer qui est assumée par le [[narrateur]], la description de Fischl faite à la troisième [[Personne (grammaire)|personne]] traduit la vision que Golder a de lui, ce qui introduit une ambiguïté{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=222}}.
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Le protagoniste, qui {{citation|n'entre dans aucun schéma prédéfini{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=91}}}}, domine le roman par sa stature et sa complexité.
 
Archétype du « [[self -made man]] »{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=237}}, David Issakitch Golder tient de Léon Némirovsky ou de [[Henri Deterding]], parti de rien avant de fonder la [[Shell (entreprise)|Shell]] avec son concurrent [[Marcus Samuel]], autant que d'[[Alfred Loewenstein]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=192}}. À soixante ans passés, énorme, Golder se souvient avoir été {{citation|un petit Juif maigre, aux cheveux roux, aux yeux perçants et pâles, les bottes trouées, les poches vides}}, obligé de dormir dehors quand il était [[Chiffonnier (métier)|chiffonnier]] à [[Moscou]], [[Chicago]] ou [[New York]]. Devenu un bourreau d'affaires{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=197}} redouté, il {{citation|doit donner, souhaite Irène Némirovsky, une impression de pierre massive}} malgré son corps mou et sa toux d'[[Asthme|asthmatique]]{{note|Elle ne décide d'ailleurs pas si son héros souffre d'asthme comme elle-même{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=186}} ou d'[[angine de poitrine]] comme son père{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=274}}.|group=alpha}}{{,}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=187}}. Il est à peu près exempt de [[stéréotype]]s caricaturaux,  excepté son nez qui se transforme peu à peu jusqu'à devenir {{citation|énorme, crochu, comme celui d'un vieil usurier juif}}{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=91}}.
 
Sous la rudesse voire la muflerie de ses manières, Golder offre un mélange d'orgueil{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=238}}, de générosité et de cruauté{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=91}}. Il est aussi {{citation|un héros de la lucidité, que les apparences n'abusent pas{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=20}}}} : il se sait, malgré leur hypocrisie, haï par ses rivaux, méprisé par sa femme, manipulé par sa fille{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=21}}. Il n'est pour elles et leur clique qu'une machine à gagner de l'argent{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=92}}, {{citation|condamné à ce rôle par l'or inscrit dans son nom{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=19}}}} {{incise|« gold » désignant l'or en anglais ou en allemand ainsi qu'en [[yiddish]]{{sfn|id=NW|Wolf|2012|p=36}}|fin}}. Son [[impuissance sexuelle]] raillée par Gloria peut être interprétée comme la rançon de sa toute-puissance financière  : même si son legs à Joyce réinstaure une paternité symbolique, la banqueroute de David Golder, ni homme ni père, est d'abord personnelle{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=24}}.
 
Sa clairvoyance et sa grandeur le distinguent des autres personnages{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=91}}. Réalisant que la respectabilité ne s'achète pas{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=20}} et qu'il n'a fait toute sa vie que « payer pour » (dans les deux sens, dépense et expiation), il se demande pour qui, pourquoi, et commence à se détacher des affaires{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=19}}. David Golder est un homme qui dit « non »{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=89}} à son associé, à sa femme et à son amant, à sa fille qui veut tout pour le sien{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=27}}, à sa propre destinée d'affairiste{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=20}} et à l'idée même de richesse{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=89}}. S'il finit par accepter pour Joyce une entreprise suicidaire, il a cherché dans une retraite quasi monacale à conjurer la fatalité de l'argent qui lui a ruiné la santé et l'âme{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=27}}.
 
À mesure qu'il entre en solitude, Golder renoue avec son [[identité juive]] refoulée  : dans la gargote de la [[rue des Rosiers (Paris)|rue des Rosiers]] où Soifer  l'emmène manger du [[Gefilte fish|poisson farci]] ; dans le port qu'il reconnaît comme s'il l'avait quitté la veille  ; sur le bateau où l'émigrant est un double de lui-même jeune  ; mourant, lorsqu'il retrouve sa langue, revoit sa maison d'enfance et croit entendre sa mère l'appeler{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=93}}. L'agonie de Golder et ses méditations angoissées sur le sens de la vie lors de sa première attaque ont été rapprochées de ''[[La Mort d'Ivan Ilitch]]''{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=218}}, source probable de la romancière qui admirait beaucoup [[Léon Tolstoï|Tolstoï]]{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=10}}.
 
QuantQuand il meurt auprès du jeune migrant, conclut [[Jonathan M. Weiss]]{{note|Jonathan Weiss est professeur de littérature française dans le [[Maine (États-Unis)|Maine]] et auteur en 2005 du premier essai sur Irène Némirovsky : sa thèse est que son œuvre reflète son évolution, depuis son amour absolu pour la [[culture française]] jusqu'à un retour sur sa [[Identité juive|judéité]]{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=309}}.|group=alpha}}, {{citation|la boucle est bouclée : Golder est l'éternel étranger, le [[Juif errant]]{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=93}}}}.
 
==== La mère, la fille et leurs gigolos ====
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Irène Némirovsky s'inspire en partie de sa mère et d'elle-même pour imaginer l'entourage de David Golder{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=183}}.
 
Fille d'un usurier sortie du [[ghetto]] de [[Chișinău|Kichinev]] grâce à son mari, Gloria Golder cherche à exorciser la pauvreté et ses origines, jusqu'à son prénom de Havké{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=197}}. Couverte de bijoux, fardée à outrance, obsédée par l'argent et le souci de rester désirable, Gloria tolère son mari tant qu'elle peut piller sa fortune{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=12}}. {{citation|Elle fait partie de la galerie des épouses et des mères égoïstes, cupides et infidèles qui peuplent l'œuvre de Némirovsky}} et ressemblent à sa propre mère{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=224}}. Fanny Némirovsky en effet {{incise|qui avait changé son prénom d'Anna}} était une mauvaise mère, avare, irrationnellement hantée par le spectre du [[ghetto]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=54}}, ainsi qu'une femme adultère  effrayée par celui de l'âge  : l'ayant surprise avec un de ses amants, sa fille lui avait voué une haine dont résonne encore ''David Golder'', moins toutefois que ''L'Ennemie'' ou ''[[Le Bal (roman)|Le Bal]]''{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=84}}.
 
[[Fichier:La Vie Parisienne - cover - 14 October 1922 - René Vincent.jpg|vignette|upright=0.8|alt=Illustration en couleur montrant une jeune femme en robe rouge et col de fourrure qui se remaquille appuyée sur un capot de voiture|R. Vincent, couverture de ''[[La Vie parisienne (magazine)|La Vie Parisienne]]'' ({{nobr|octobre 1922}}). ]]
 
Avec Joyce, Irène dresse selon Olivier Philipponnat et Patrick Lienhardt{{note|Olivier Philipponnat a publié en 2007 avec Patrick Lienhardt la biographie d'Irène Némirovsky, puis a supervisé en 2010 l'exposition du Mémorial de la Shoah{{sfn|id=OC|Corpet (dir.)|2010|p=12}}. Il a travaillé dix ans sur l'œuvre de Némirovsky, dont Denise Epstein lui a transmis les droits moraux à la mort de sa sœur en 1994{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=22 et 375}}.|group=alpha}} un sévère autoportrait au passé{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=183}}, qu'elle regrettera ensuite{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=184}}. Pressée de vivre, de jouir en disposant librement de son corps, Joyce incarne la frénésie des [[années folles]] doublée d'un individualisme sans scrupule{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=21}}. Écervelée, mais qui sait compter  : les commentateurs soulignent{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=183}} qu'avec des chatteries presque incestueuses, elle joue cyniquement à son père illégitime la comédie de l'amour filial pour en obtenir de l'argent ou une nouvelle auto{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=198}}.
 
Si Golder l'appelle « Joy » car elle fait sa joie, il la traite aussi de « grue »  : il connaît ses frasques et mesure douloureusement la {{citation|dégradation d'un lien affectif dont seul le besoin sans cesse plus impérieux d'argent entretient l'illusion{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=13}}}}  {{incise|d'où le parallèle souvent fait entre ''David Golder'' et ''[[Le Père Goriot]]'', qu'Irène Némirovsky n'avait d'ailleurs pas lu à l'époque{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=218}}|fin}}. Par ses demandes insatiables, Joyce pourrait incarner enfin une part infantile de Golder, celle qui rêve de compenser les frustrations d'une enfance pauvre par l'accumulation{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=14}}.
 
Le lecteur entrevoit la foule interlope de {{citation|tous les escrocs, les souteneurs, les vieilles grues{{sfn|gr=Gold|id=Gold|texte=''David Golder''|p=46}}}} invités ou entretenus aux frais de Golder{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=20}}. Hoyos (« trous », « vides » en espagnol{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=23}}) {{citation|est le type du beau [[Prostitution masculine|gigolo]]{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=89}}}} sur le retour  : l'aventurier vivant aux crochets de Gloria se révèle être un [[Perversion|pervers]] qui épie sa fille naturelle au lit avec son amant{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=224}}. Quant à celui-ci, [[éphèbe]] issu d'une ancienne famille régnante, il désire Joyce sans pour autant renoncer à d'autres liaisons, notamment avec la vieille [[lady]] qui rémunère ses services{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=21}}.
 
==== Les hommes d'affaires ====
Seuls Soifer et Fischl, assure la romancière, ont été {{citation|directement emprunté[s] à la réalité}}{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=90}}.
 
Tübingen est un vieux financier de grande envergure. Discret, doté d'une {{citation|figure [[Puritanisme|puritaine]], pâle, aux lèvres serrées{{sfn|gr=Gold|id=Gold|texte=''David Golder''|p=152}}}}, il incarnerait un [[capitalisme]] [[Protestantisme|protestant]]  : à la conception égocentrique et nihiliste de Golder, il oppose l'idéal d'une transmission patrimoniale non tant du profit amassé, prêté par Dieu, que de l'activité elle-même, où il se montre à la fois ambitieux et pragmatique{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=16}}.
 
Marcus, l'associé juif de Golder, est pour son auteur un modèle d'assimilation au point qu'elle ne veut pas savoir d'où il vient. Mais au-delà de ses toiles de maîtres et de ses relations mondaines, elle lui prête un {{citation|appétit oriental des femmes}} qui lui fait choisir [[le Chabanais]], célèbre [[lupanar]] de l'époque, pour mettre fin à ses jours{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=187}}.
 
Soifer, immensément riche, {{citation|était d'une avarice qui confinait à la folie{{sfn|gr=Gold|id=Gold|texte=''David Golder''|p=142}}}}  : le narrateur en énumère les manifestations extravagantes (habiter un meublé sordide, se refuser la dépense d'un taxi, d'un dentier, économiser ses semelles en marchant sur la pointe des pieds) qui semblent {{citation|relever de la comédie de [[Molière]]{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=90}}}}. Golder s'en amuse et apprécie Soifer pour le regard empreint d'[[humour noir]] et de nostalgie qu'il porte sur l'univers miteux de leur jeunesse{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=224-225}}.
 
Fischl n'apparaît qu'une fois en personne  : escroc avouant sans honte avoir fait de la prison, c'est {{citation|un petit Juif gras, roux et rose, l'air comique, ignoble, un peu sinistre, avec ses yeux brillants d'intelligence derrière les fines lunettes à branches dorées, son ventre, ses petites jambes faibles, courtes et tordues, ses mains d'assassin{{sfn|gr=Gold|id=Gold|texte=''David Golder''|p=47}}}}{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=221}}. Jonathan Weiss juge cette description {{citation|plus stéréotypée que réelle{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=89}}}}, et [[Susan Rubin Suleiman]]{{note|Susan R. Suleiman, professeur émérite de civilisation française et de littérature comparée à l'[[université Harvard]], est l'auteur d'un important essai sur ''La Question Némirovsky''. {{Lien web|titre=S. R. Suleiman|url=https://rll-faculty.fas.harvard.edu/susanrubinsuleiman}}.|group=alpha}} rappelle que Fischl est vu par un Golder furieux d'être délogé de sa propre chambre{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=220}} : l'homme lui paraît un miroir déformé de lui-même qui {{citation|parle et agit trop comme un Juif vu par les [[Antisémitisme|antisémites]]{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=222}}}}.
 
Soifer et Fischl sont les plus cités à charge par les détracteurs d'une œuvre où la présence de [[stéréotype]]s négatifs sur les Juifs pose question{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=223}}.
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==== Argent et spéculation ====
{{citation|Vous voulez savoir pourquoi le monde des affaires tient tant de place dans mes romans  ? Mais simplement, expliquait la romancière à [[Robert Bourget-Pailleron]] en 1936, parce que j'ai là-dessus beaucoup de souvenirs personnels. […] C'est sous l'aspect des conflits d'argent que me sont apparus les premiers drames dont mon esprit ait été témoin{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=197}}.}}
 
Quand sa fille lui montre les épreuves de ''David Golder'', Léon Némirovsky dit  n'y voir {{citation|pas de trop grosses bêtises}}{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=81}}. Le lecteur peut être bluffé par le jargon boursier et les avalanches de chiffres, d'autant que les détails des tractations sont elliptiques. Un chroniqueur de la ''Revue pétrolifère'' saluait d'ailleurs les talents d'illusionniste de l'auteur et trouvait très crédible non le tableau du marché pétrolier mais le personnage du spéculateur qui mise sur des mirages en ignorant les réalités industrielles{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=193}}.
 
[[Fichier:La Roulette, from Monte-Carlo, 2nd Serie MET DP824611.jpg|vignette|upright=1.1|alt=Caricature en couleur où de nombreux personnages se pressent à une table de jeu avec roulette et monceaux d'argent|''La Roulette'' (1910) par [[Sem (illustrateur)|Sem]], dont Irène Némirovsky appréciait les caricatures{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=318}}. ]]
 
Tout ce que Golder a bâti {{incise|sa fortune et partant, sa vie familiale}} s'effondre comme un [[château de cartes]]{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=99}}. Le profit ne résulte jamais ici d'une stratégie d'expert mais d'une [[martingale]], ce que symbolise la scène du casino où le héros perd puis regagne un million en une nuit  : elle offre une [[parodie]] de ses activités et une image altérée du financier en joueur professionnel{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=12}}. Pour Jacques Poirier{{note|Professeur honoraire à l'université de Bourgogne, Jacques Poirier est spécialiste de littérature du {{s-|XX}} [http://ufr-lettres-philosophie.u-bourgogne.fr/departements/lettres-modernes/77-profils/lettres-modernes/90-jacques-poirier.html].|group=alpha}}, ce roman montre les aléas d'un monde tournant le dos à un [[capitalisme]] basé sur le réel et des valeurs refuges tangibles {{incise|auxquelles s'accrochent Soifer, Gloria ou la veuve de Marcus{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=25}}}} pour basculer dans une économie spéculative où les signes se substituent aux choses{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=22}} : {{citation|La dématérialisation des avoirs et leur déterritorialisation font de David Golder un être sans feu ni lieu, un Juif errant de luxe{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=26}}.}}
 
==== Corruption des mœurs ====
L'argent et l'adultère tiennent une grande place chez Némirovsky parce qu'au-delà de son histoire personnelle, elle porte un jugement moral sur le monde{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=304}}.
 
Lors d'un entretien, elle déclarait mettre en scène l'asservissement de la société à l'argent et les violentes luttes qui en découlent{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=132}}. Dans ses récits la comédie bourgeoise se mue en tragédie{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=20}}  : prolongeant une vision balzacienne{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=24}}, l'argent non seulement y régit la sphère économique mais y {{citation|informe le régime des passions{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=19}}}}. Indépendamment de ses opinions de [[Droite (politique)|droite]], la romancière raisonne en [[Matérialisme|matérialiste]], estime Jacques Poirier, car dès ''David Golder'' l'argent gouverne les relations humaines, modelées sur les rapports marchands, et les classes possédantes n'échappent pas à cette [[Aliénation (Marx)|aliénation]]{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=19}}.
 
{{citation|Avec une fille de famille aux allures de fille de joie et une maîtresse de maison en tenancière}}, la villa de Golder tient du [[lupanar]]{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=22}}. Là où chez [[Karl Marx|Marx]] le [[Prolétariat|prolétaire]] vend sa force de travail pour un salaire misérable, chez Némirovsky {{citation|hommes et femmes vendent leur force de séduction}} et en vivent plutôt bien  : ceci met à nu le cynisme d'une société qui a renié la pudeur et l'[[éthique]]{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=21}} ainsi que la décadence d'une [[ploutocratie]] sans honneur ni vertu{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=23}}. L'[[aristocratie]] se dégrade en demi-monde, la valeur-travail n'a plus cours, {{citation|le corps se vend, s'achète ou se loue comme n'importe quel objet manufacturé}}, ce qu'illustre parfaitement le personnage de Joyce cherchant à investir au mieux son capital-beauté{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=21}}.
 
Si Némirovsky gomme dans ''David Golder'' ses intentions [[moraliste]]s{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=236}}, ce roman n'en marque pas moins un jalon dans une perspective où la nature des hommes et des femmes est dévoyée par une poursuite d'argent qui les renvoie à leur solitude [[Narcissisme|narcissique]]{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=304}}.
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Face à certains interlocuteurs, Irène Némirovsky convient avoir cherché dans ''David Golder'' à exprimer « l'âme juive »{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=231}}.
 
Tout en préférant le [[Réalisme (littérature)|réalisme]] et la [[satire]] à l'idéalisation{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=231}}, elle a souhaité magnifier à travers Golder et son histoire certains traits de ce qu'elle considère comme le « génie » juif : {{citation|le courage, la ténacité, l'orgueil […] en un mot, « le cran »}}, qualités qu'elle pense pour sa part avoir héritées de son père{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=234}}. Elle précise cependant qu'elle a voulu, comme dans d'autres récits, dépeindre un milieu spécifique plutôt qu'une « race », selon la terminologie de l'époque{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=235}} : celui qu'elle a observé de près, des financiers russes [[ashkénazeashkénazes]]s récemment enrichis{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=271}}, ou encore, ajoute-t-elle, des Juifs {{citation|cosmopolites chez lesquels l'amour de l'argent a pris la place de tout autre sentiment}} et a {{citation|détruit peu à peu tout amour des traditions et de la famille}}{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=198}}{{,}}{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=93}}.
 
Enracinée dans ce milieu qu'elle récuse, elle en tire de façon encore implicite l'idée d'un destin proprement juif : à la fois juge et partie prenante, comme son auteur, Golder plonge dans le monde inhumain des affaires {{citation|non pas tant pour s'enrichir au présent que pour faire face à la menace de la déchéance}} guettant ceux que les crises ou les régimes chassent de pays en pays{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=94}}. Sa femme n'est pas non plus réductible à sa seule avidité : {{citation|David et Gloria ne sont pas mus par la soif de l'or, mais par le souvenir menaçant de leur misère, qu'il combat sans relâche et qu'elle repousse avec terreur{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=237}}.}}
 
==== Vanité et rédemption  ====
[[Fichier:Paul Müller-Kaempff - Darß Winter (détail).jpg|vignette|alt=Peinture montrant des maisons aux toits enneigés avec une fenêtre éclairée|[[Paul Müller-Kaempff|P. Müller-Kaempff]], ''L'hiver sur le Darß'' (détail). David Golder meurt en revoyantcroyant revoir sa maison d'enfance éclairée un soir d'hiver.]]
Ce premier roman d'Irène Némirovsky inclut déjà une dimension spirituelle [[Bible|biblique]] voire [[Christianisme|chrétienne]]{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=7}}.
 
Un des thèmes de ''David Golder'' est l'angoisse de la mort{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=237}}  : confronté d'abord au suicide de Marcus, le héros croit mourir lors de son malaise dans le train, qui anticipe sa traversée finale sur le cargo{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=20}}. Providentielle de ce point de vue, sa faillite provoque en lui une crise existentielle initiatique : la dévaluation puis la perte de valeurs boursières frelatées entraîne un dépouillement volontaire{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=8}} en même temps qu'une réappropriation d'autres valeurs  {{incise|retour aux origines, filiation, culture ancestrale{{sfn|id=JP|Poirier|2012|p=20}}|stop}}.
 
Dès la parution de cette {{citation|variante de l{{'}}''[[Ecclésiaste]]'' dans le domaine de la haute finance{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=182}}}}, [[Benjamin Crémieux]] et [[André Maurois]] en ont saisi le pessimisme métaphysique. Crémieux voit en Golder  une allégorie de « l'âme juive » : {{citation|il veut tout en sachant que tout n'est rien. C'est pourquoi il [montre] tour à tour l'ambition du [[David (roi d'Israël)|David]] biblique et le détachement de l'Ecclésiaste}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=182}}, ce qui le relie aussi à Tolstoï et au christianisme russe{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=8}}.
 
David Golder se sacrifie par amour pour sa fille au terme d'un parcours analogue à un [[chemin de croix]]. Christian Donadille{{note|Maître de conférence à l'université de Lille [https://www.researchgate.net/profile/Christian_Donadille] [https://alithila.univ-lille3.fr/index.php/contacts/donadille-christian/ ].|group=alpha}} en retrace les étapes qui suivent l'élimination de son bras droit Marcus{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=9}} : nuit au casino{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=13}}, refus du rôle de « money maker », vente de ses biens, dégradation physique, vestimentaire{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=14}}, retour à ses racines dans le quartier juif de Paris, abandon de sa fortune à sa fille et, phase ultime de cette [[Passion du Christ|passion]], agonie sur le bateau{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=15}} où le mourant finit comme transfiguré par la lumière du couchant qui traverse le hublot{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=17}}. Si la romancière a biffé l'ultime phrase du manuscrit, {{citation|Il entra dans la paix éternelle}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=209}}, elle suggère bien, dix ans avant sa conversion au [[catholicisme]]{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=18}}, la possibilité pour l'homme de se racheter et d'être sauvé{{sfn|id=CD|Donadille|2012|p=17}}.
 
== Un événement littéraire ==
Irène Némirovsky fait une entrée fracassante sur la scène littéraire lorsque ''David Golder'', son premier vrai livre, est publié par un éditeur  important : le roman obtient un gros succès critique et restera son [[best-seller]]{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=87-88}}{{,}}{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=114}}.
[[Fichier:Logo collection Grasset Pour mon plaisir (avant 1937).jpg|vignette|upright=0.8|alt=Dessin sur fond beige avec fleurs et nom de la collection en majuscules|''David Golder'' est le quatrième volume de cette collection de Grasset.]]
Irène Némirovsky fait une entrée fracassante sur la scène littéraire lorsque ''David Golder'', son premier vrai livre, est publié par un éditeur important : le roman obtient un gros succès critique et restera son [[best-seller]]{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=87-88}}{{,}}{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=114}}.
 
=== Une publication mouvementée ===
Comme tout événement littéraire, remarque [[Jonathan M. Weiss]], celui-ci a sa part de légende{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=75}}.
 
En {{nobr|septembre 1929}}, Irène adresse son manuscrit aux ''Œuvres Libres''  mais le rédacteur en chef lui demande de l'amputer d'une cinquantaine  de pages, soit le quart. Ne pouvant s'y résoudre {{incise|non plus qu'à une cinquième rédaction en fin de grossesse}}, elle s'avise que l'audace lui a toujours réussi{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=76}} et que les [[éditions Grasset]] ne s'offusqueraient pas d'un texte truffé de gros mots et de sous-entendus grivois{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=202}}. Elle l'envoie sous son nom d'épouse et une adresse en [[poste restante]]{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=75}}, {{citation|pour qu'en cas d'échec, précise-t-elle plus tard, ma démarche restât ignorée des miens}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=208}} et pour éviter tout rapprochement avec des textes parus sous son nom{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=77}}.
 
[[Henry Muller]], employé chez Grasset au service des manuscrits, est d'emblée saisi par le ton et la vivacité de ce récit trivial, qu'il s'empresse de faire lire à son patron{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=209}}. Pour en avoir publié{{note|''Lewis et Irène'' de [[Paul Morand]] en 1924, ''[[Bella (roman)|Bella]]'' de [[Jean Giraudoux]] en 1926{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=211}}.|group=alpha}}, [[Bernard Grasset (éditeur)|Bernard Grasset]] sait que le roman d'argent, ''a fortiori'' si les protagonistes sont juifs, a le vent en poupe{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=211}} car l'époque s'inquiète du culte des richesses matérielles{{note|[[François Mauriac]] vient d'en faire le sujet de son essai ''[[Dieu et Mammon]]''{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=212}}.|group=alpha}}{{,}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=212}}. Il écrit immédiatement au mystérieux « M. Epstein » puis, toujours sans nouvelles, fait passer une annonce dans les journaux  : {{citation|Cherche auteur ayant envoyé manuscrit aux Éditions Grasset sous nom Epstein}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=213}}. C'est probablement une manœuvre publicitaire{{sfn|id=OC|Corpet|p=75}} mais la légende dorée de ''David Golder'' veut qu'Irène Némirovsky ne se soit fait connaître aux Éditions Grasset qu'à la toute fin de novembre, trois semaines après la naissance de sa fille [[Denise Epstein|Denise]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=215}}.
[[Fichier:SchoonmakerEconomie, veegtaandelen, de vloer na de beurskrach van 1929 - Cleaner sweeping the floor after the Wall Street crashbeurzen, 1929 (5372590938)SFA001018144.jpg|vignette|upright=0.8|alt=Photo noir et blanc d'un employé balayant une pièce jonchée de papiers abandonnés|Après le [[krach de 1929]], un employé de [[New York Stock Exchange|Wall Sreet]] balaie les [[Action (finance)|titres]] devenus sans valeur.]]
Grasset entrevoit le profit à tirer du fait que l'auteur de ce sombre roman fort peu sentimental soit une jeune accouchée, une émigrée russe écrivant en français, {{citation|une Juive enfin, sans complaisance pour les siens{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=216}}}}. En une demi-heure est signé un contrat{{note|La date du {{nobr|25 octobre 1929}} avancée par Weiss semble contredire la version selon laquelle Grasset n'aurait eu aucun contact avec Némirovsky avant leur rencontre fin novembre{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=77}}.|group=alpha}} qui engage Némirovsky pour ses trois prochains ouvrages{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=77}}{{,}}{{note|Ce seront ''Le Bal'', rebaptisé « roman » (1930), ''Les Mouches d'automne'' (1931) et ''L'Affaire Courilof'' (1933){{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=114}}.|group=alpha}}. En attendant, ''David Golder'' paraîtsera dansle quatrième volume de la collection « Pour mon Plaisir », que Grasset réserve à ses « coups de cœur »{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=87-88}} et qui vient d'accueillir [[Jacques Chardonne]] (''Les Varais''), [[Jean Cocteau]] (''[[Les Enfants terribles (roman)|Les Enfants terribles]]'') et [[Jean Giono]] (''[[Un de Baumugnes]]''){{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=216}}.
 
Cet éditeur « à l'américaine » ne néglige rien pour assurer le lancement de son nouveau produit{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=210}} encore sous presse{{sfn|id=OC|Corpet (dir.)|2010|p=76}}. Le {{nobr|7 décembre1929décembre 1929}}, il publie dans ''[[Les Nouvelles littéraires]]'' une présentation où, comme il l'avait fait pour [[Raymond Radiguet]] à la sortie du ''[[Le Diable au corps (Radiguet)|Diable au corps]]''{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=78}}, il rajeunit l'auteur de trois ans afin d'accentuer son côté « prodige » ; il annonce une œuvre qui {{citation|doit aller très loin}}, {{citation|toute une philosophie de l'amour, de l'ambition, de l'argent [qui] rappelle ''[[Le Père Goriot]]''}}. Suivront dans d'autres journaux des comparaisons avec le [[Réalisme (littérature)|réalisme]] de [[Honoré de Balzac|Balzac]] et le [[Naturalisme (littérature)|naturalisme]] de [[Émile Zola|Zola]] ou [[Charles Dickens|Dickens]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=217}}.
[[Fichier:Schoonmaker veegt de vloer na de beurskrach van 1929 - Cleaner sweeping the floor after the Wall Street crash, 1929 (5372590938).jpg|vignette|upright=0.8|alt=Photo noir et blanc d'un employé balayant une pièce jonchée de papiers abandonnés|Après le [[krach de 1929]], un employé de [[New York Stock Exchange|Wall Sreet]] balaie les [[Action (finance)|titres]] devenus sans valeur.]]
 
Grasset entrevoit le profit à tirer du fait que l'auteur de ce sombre roman fort peu sentimental soit une jeune accouchée, une émigrée russe écrivant en français, {{citation|une Juive enfin, sans complaisance pour les siens{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=216}}}}. En une demi-heure est signé un contrat{{note|La date du {{nobr|25 octobre 1929}} avancée par Weiss semble contredire la version selon laquelle Grasset n'aurait eu aucun contact avec Némirovsky avant leur rencontre fin novembre{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=77}}.|group=alpha}} qui engage Némirovsky pour ses trois prochains ouvrages{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=77}}{{,}}{{note|Ce seront ''Le Bal'', rebaptisé « roman » (1930), ''Les Mouches d'automne'' (1931) et ''L'Affaire Courilof'' (1933){{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=114}}.|group=alpha}}. En attendant, ''David Golder'' paraît dans la collection « Pour mon Plaisir » que Grasset réserve à ses « coups de cœur »{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=87-88}} et qui vient d'accueillir [[Jacques Chardonne]] (''Les Varais''), [[Jean Cocteau]] (''[[Les Enfants terribles (roman)|Les Enfants terribles]]'') et [[Jean Giono]] (''[[Un de Baumugnes]]''){{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=216}}.
 
Cet éditeur « à l'américaine » ne néglige rien pour assurer le lancement de son nouveau produit{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=210}} encore sous presse{{sfn|id=OC|Corpet (dir.)|2010|p=76}}. Le {{nobr|7 décembre1929}}, il publie dans ''[[Les Nouvelles littéraires]]'' une présentation où, comme il l'avait fait pour [[Raymond Radiguet]] à la sortie du ''[[Le Diable au corps (Radiguet)|Diable au corps]]''{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=78}}, il rajeunit l'auteur de trois ans afin d'accentuer son côté « prodige » ; il annonce une œuvre qui {{citation|doit aller très loin}}, {{citation|toute une philosophie de l'amour, de l'ambition, de l'argent [qui] rappelle ''[[Le Père Goriot]]''}}. Suivront dans d'autres journaux des comparaisons avec le [[Réalisme (littérature)|réalisme]] de [[Honoré de Balzac|Balzac]] et le [[Naturalisme (littérature)|naturalisme]] de [[Émile Zola|Zola]] ou [[Charles Dickens|Dickens]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=217}}.
 
Même ceux que n'abusent pas les méthodes offensives de Grasset s'interrogent sur cette romancière au nom imprononçable{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=218}}. En vitrine pour [[Noël]] au prix de 15 [[Franc français|francs]]{{note|Environ 9 [[euro]]s des {{nobr|années 2000}}.|group=alpha}}, le livre connaît un succès de librairie qu'explique en partie le contexte de cette fin d'{{nobr|année 1929}} : la [[Grande Dépression]] n'atteindra la France que plus tard mais les esprits ont été frappés en octobre par le [[Krach de 1929|krach boursier]]{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=80}} et en novembre par les révélations du ''[[Le Canard enchaîné|Canard enchaîné]]'' sur la [[faillite frauduleuse]] d'[[Albert Oustric]] ; les aventures de David Golder semblent y faire écho tandis que son identité juive rappelle [[Marthe Hanau]], inculpée un an auparavant dans un autre scandale. {{citation|D'aucuns voudront voir en lui le type du financier sans foi ni patrie, prospérant crapuleusement sur le terreau national{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=213}}.}} Les lecteurs sont fascinés par ces fortunes et ces destins qui se font et se défont en un clin d'œil au gré des cotations boursières internationales{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=80}}.
 
=== Réception critique ===
Tous les critiques ne suivent pas l'éditeur dans ses parallèles avec de grands écrivains et certains s'inquiètent de ce que ''David Golder'' paraît véhiculer une image négative des [[Juifs]]  : la plupart ne l'en considèrent pas moins comme une œuvre forte{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=78}}.
 
==== « Une puissance exceptionnelle »  ====
[[Fichier:Irene Nemirovsky 25yo.jpg|vignette|upright=0.7|gauche|alt=Photo noir et blanc d'une jeune femme en plan américain, très souriante, un chat noir dans les bras|Irène Némirovsky en 1928.]]
 
Dès {{date-|janvier 1930}} sont salués ''David Golder'' et sa puissance jugée parfois digne de [[Honoré de Balzac|Balzac]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=220}}.
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Le {{date-|11 janvier 1930}} paraît dans ''[[Les Nouvelles littéraires]]'' le premier entretien de la romancière, « Une heure avec Irène Némirovsky »{{sfn|id=OC|Corpet (dir.)|Corpet|2010|p=76}}. Interviewer renommé{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=225}}, [[Frédéric Lefèvre]] insiste sur la douceur souriante de la jeune femme {{incise|là où d'aucuns imaginaient une [[virago]]}} et l'interroge sur son passé, son travail, ses auteurs favoris, les dessous de la publication de ''David Golder''. Cet article sera largement pillé bien que d'autres revues dépêchent elles aussi des journalistes auprès de l'étoile montante{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=226}}.
 
Tout au long du printemps, quotidiens et périodiques parisiens ou régionaux lui consacrent des articles qui, sous des signatures souvent fameuses, saluent l'émergence d'un talent très sûr{{sfn|id=OC|Corpet (dir.)|Corpet|2010|p=76}}  : [[Henri de Régnier]] (''[[Le Figaro]]''), André Bellessort (le ''[[Le Journal des débats]]''), Gaston de Pawlowski (''[[Comœdia (journal)|Comœdia]]'', ''[[Gringoire]]''), [[Robert Kemp]], [[Edmond Jaloux]], [[André Billy]], [[André Maurois]], Frédéric Lefèvre (''Les Nouvelles littéraires''), André Thérive (''[[Le Temps (quotidien français, 1861-1942)|Le Temps]]''), [[Daniel-Rops]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=218-223}} ou [[Robert Brasillach]] (''[[L'Action française (quotidien)|L'Action française]]''){{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=192}}. [[Marcel Thiébaut]], pour la ''[[Revue de Paris]]'', est presque seul à déprécier ce livre {{citation|excessivement inégal où des «  morceaux  » réussis alternent avec de longs passages d'une inspiration très artificielle}}{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=79}}.
 
La plupart des commentateurs note le caractère tragique voire universel de l'histoire, celle du capitaliste moderne ruiné ou du père qui se sacrifie pour son enfant{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=192}}  : le héros est comparé non seulement à [[Jean-Joachim Goriot|Goriot]] mais à [[Jean-Esther van Gobseck|Gobseck]] et [[Frédéric de Nucingen|Nucingen]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=219}}. Ceux qui rapprochent l'œuvre de [[Charles Dickens|Dickens]], [[Émile Zola|Zola]] ou encore [[Honoré Daumier|Daumier]] soulignent son [[Réalisme (littérature)|réalisme]] impitoyable{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=219}}. À chercher les ressorts physiologiques du « Juif d'argent », [[personnage type]] à la Balzac, d'autres manquent le « [[self -made man]] » et la réflexion désabusée sur le monde des affaires{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=237}}. Premier à parler de « chef-d'œuvre »{{sfn|id=OC|Corpet (dir.)|2010|p=76}}, [[André Thérive]] est un des seuls à comprendre que le protagoniste ne tient pas à la fortune mais touche la vanité de ses illusions et de son existence  : ''David Golder'' retrace selon lui non un tableau de la haute finance juive mais l'agonie d'un {{citation|homme qui n'a pas su vivre et n'ose pas mourir}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=220}}.
 
==== « Un beau livre qui pue »  ====
[[Fichier:Frederick Burr Opper, Let Them Have It All And Be Done With It! 1882 Cornell CUL PJM 1092 01.jpg|vignette|upright=1.2|alt=Caricature en couleurs de cinq personnages jouant aux dés et découpant des portions de continent|Caricature anticapitaliste de [[Frederick Burr Opper|Opper]] tirée de de l'hebdomadaire satirique ''[[Puck (magazine)|Puck]]'' (1882).]]
Si ses interprétations divergent, la peinture au vitriol des milieux financiers fait quasiment l'unanimité.
 
Même dans la [[presse féminine]], les critiques ont du mal à admettre que le sujet et le style de ''David Golder'' émanent d'une femme{{note|Une revue pour éditeurs et libraires attribue d'abord le roman à un certain « René Némirovsky »{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=222}}.|group=alpha}}  : {{citation|virilité, force, vigueur, cynisme, âpreté, noirceur, cruauté, pessimisme, puissance, « poigne de mâle » et même « muscle » sont les termes qui traduisent le plus souvent la stupéfaction des chroniqueurs{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=222}}.}} Certains doutent qu'une femme puisse surpasser [[Colette]] en audace, d'autres en prennent acte à contrecœur. [[André Bellessort]] déplore que les [[Garçonne (mode)|garçonnes]] osent les mêmes indécences que les hommes, et une partie de la presse traditionaliste en augure une décadence de la société comme des lettres {{incise|ainsi [[Antoine Redier (écrivain)|Antoine Redier]] pour ''[[La Revue française]]'' ou ses confrères de ''Comœdia''|fin}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=223}}.
 
S'ils déconseillent cette lecture aux jeunes filles, les journaux catholiques y voient un repoussoir efficace  contre l'immoralité de l'argent et l'avilissement dans le plaisir{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=224}}. Hormis une frange pour qui l'auteur de ''David Golder'' reste l'héritière d'un banquier [[tsar]]iste{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=225}}, la presse de gauche apprécie aussi ce texte dévoilant les turpitudes de la haute finance{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=224}}  : la [[Confédération générale du travail|C.G.T.CGT]] le programme en feuilleton dans son quotidien ''[[Le Peuple (journal français)|Le Peuple]]'' pour le début de l'année suivante{{sfn|id=OC|Corpet (dir.)|Corpet|2010|p=78}}. Quant à la presse de droite, elle lui prête une valeur quasi documentaire sur la face pourrie de l'économie, rappelant de façon plus ou moins appuyée l'origine juive des protagonistes{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=224}}.
 
==== « Un Juif pour antisémites  »  ====
La façon dont une certaine droite s'empare de ''David Golder'' pour justifier son [[antisémitisme]] corrobore les craintes de la presse « israélite ».
 
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[[Fichier:German antisemitic postcard.jpg|vignette|upright=0.8|alt=Caricature en couleurs d'un couple vulgaire et arrogant devant des employés d'hôtel serviles|[[Carte postale]] antisémite allemande (vers 1900).]]
 
Brandissant l'identité de l'auteur comme une garantie de véracité, beaucoup voient dans ''David Golder'' la confirmation de leurs [[préjugé]]s sur les [[Juifs]]  : [[stéréotype]]s physiques et psychologiques, vénalité, rapacité, [[masochisme]], éternelle insatisfaction, quête de la {{page h'|Terre promise (homonymie)#Origine religieuse|Terre promise}} sous la forme de l'argent{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=82-83}}. [[André Billy]] feint d'ailleurs de croire à un [[pamphlet]]  : {{citation|Seule une Juive, se réjouit-il, pouvait écrire sur la folie juive de l'or un réquisitoire aussi terrible et aussi clairvoyant.}}{{sfn|id=OC|Corpet (dir.)|Corpet|2010|p=76}}.}} Un chroniqueur de ''[[L'Action française (quotidien)|L'Action française]]'' recommande cet ouvrage qui démonte les {{citation|jeux des princes dont nous autres, chrétiens, faisons les frais}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=221}}. Pour [[Gaston de Pawlowski]] et d'autres dans ''Gringoire'' ou ''Comœdia'', la fin de Golder invite les Juifs à intégrer les normes de leurs pays d'accueil, à moins de vouloir rester à jamais des [[Juif errant|Juifs errants]]{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=95}}.
 
Prête à convenir de sa valeur littéraire, la presse juive {{citation|réagit avec émotion aux portraits antipathiques des juifs{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=83}}}} du roman, l'[[Essaiessai (littérature)|essayiste]] [[Pierre Paraf]] étant l'un des premiers à dénoncer en Golder une figure de {{citation|Juif pour antisémites}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=233}}. L'hebdomadaire [[Sionisme|sioniste]] tunisien ''[[Le Réveil juif]]'' fustige des personnages odieux, le cliché des Juifs « rois de l'or et du pétrole » ne pouvant qu'agréer à ceux qui les haïssent{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=233}}. Si un mensuel alsacien insiste sur l'universalité du sujet, ''[[L'Univers israélite]]'' attend pour recenser l'ouvrage d'avoir fait interviewer l'auteur de ''David Golder''{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=193}}.
 
Au demeurant charmée par celle-ci, [[Nina Gourfinkel]] tente de lui démontrer qu'en peignant des juifs dépourvus de sens moral, elle a pris le risque de fournir des armes à leurs ennemis. Ce à quoi la jeune romancière répond  que juive et fière de l'être, elle ne saurait être taxée d'antisémitisme  ; et qu'elle ne prétend pas avoir décrit tous les Juifs mais ceux qu'elle a connus  ({{citation|C'est ainsi que je les ai vus}}){{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=84}}{{,}}{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=194-197}}. {{citation|La journaliste attaque, l'auteure pare{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=195}}}}, et la première sort de l'entretien avec la pensée ambiguë  qu'{{citation|antisémite, certes, Irène Némirovsky ne l'est pas. Aussi peu que juive}}{{sfn|id=OC|Corpet|2010|p=76}}. Son article du {{nobr|28 février 1930}}, « L'expérience juive d'Irène Némirovsky », se conclut sur l'idée que celle-ci n'est pas responsable si ses lecteurs jugent une communauté à partir d'individus fictifs, mais aussi sur l'espoir qu'à l'avenir elle élargira sa vision{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=197}}.
 
=== La rançon de la gloire ===
La carrière voire la vie d'Irène Némirovsky vont être marquées par le succès de ''David Golder'' au-delà de son adaptation immédiate au théâtre et au cinéma.
 
[[Fernand Nozière]], critique dramatique qui arrange des romans pour la scène{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=241}}, acquiert dès {{nobr|février 1930}} les droits de ''David Golder''{{sfn|id=OC|Corpet|2010|p=76}}. Il taille dans le texte en ne gardant que les passages les plus « pittoresques », engageant même des comédiens russes pour la fin. Il en résulte un [[vaudeville]] destiné à faire rire que la stature d'[[Harry Baur]], chargé du [[rôle-titre]] et de la [[direction d'acteur]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=242}}, ne parvient pas à sauver. La première a lieu le {{nobr|26 décembre 1930}} au [[Théâtre de la Porte-Saint-Martin]]. Irène Némirovsky s'amuse mais la presse et le public déplorent une [[mise en scène]] poussive et un simplisme caricatural {{incise|qui inspire à [[Jean Sennep]] un dessin où [[Paule Andral]], interprète de Gloria, tend la main vers les pièces que Harry Baur fait pleuvoir d'un robinet greffé sur son flanc|fin}}  : la pièce tombe après une vingtaine de représentations{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=255}}.
 
Déjà connu dans le [[cinéma muet]], [[Julien Duvivier]] décide de tirer son premier [[cinéma sonore|film parlant]] de ''David Golder'', dont la lecture l'a bouleversé{{sfn|id=PR|Renard|2012|p=44-45}}. Le cinéaste féru de littérature rassure la romancière cinéphile sur son désir de rester fidèle à l'œuvre{{sfn|id=PR|Renard|2012|p=46}}. Les producteurs [[Marcel Vandal]] et [[Charles Delac]] signent fin août avec Grasset{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=84}} et le tournage commence à l'automne, perturbé par un imbroglio juridique entre Nozière et Duvivier qui l'accuse de [[plagiat]]{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=88}}. L'écriture du [[scénario]] a été facilitée par les nombreux [[dialogue]]s du roman et sa structure en [[Séquence (cinéma)|séquences]], globalement respectées{{sfn|id=PR|Renard|2012|p=47}}. Harry Baur et Paule Andral reprennent leurs rôles tandis que [[Jackie Monnier]] incarne leur fille, dont elle joue le snobisme, les caprices et la rouerie d'une façon jugée exaspérante mais de fait conforme à la Joyce du roman{{sfn|id=PR|Renard|2012|p=49}}. Révélé en [[avant-première]] le 17 décembre au [[Théâtre Pigalle]], le [[David Golder (film)|film]] sort à l'Élysée-Gaumont le {{nobr|6 mars 1931}}{{sfn|id=OC|Corpet|2010|p=78}} et reste à l'affiche jusqu'en septembre{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=87}}. En mars il a été projeté à [[Berlin]]{{sfn|id=OC|Corpet|2010|p=78}}.
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[[Fichier:Société des gens de lettres de France.jpg|vignette|alt=Photographie en couleur d'une plaque sur un pan de mur, blanche avec des caractères dorés|[[Gaston Chérau]] et [[Roland Dorgelès]] parrainent I. Némirovsky à la [[Société des gens de lettres]] dès 1930{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=228}}.]]
 
{{citation|Aucune œuvre publiée après ''David Golder'' […] ne connut le retentissement de ce roman{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=114}}}}, dont plus de {{nombre|60000|exemplaires}} sont vendus en France entre l'{{nobr|hiver 1930}} et l'{{nobr|automne 1933}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=301}}. Il est dès 1930 traduit aux [[États-Unis]]{{sfn|Weiss|2012|p=125}} et en Allemagne, puis en quelques années dans toute l'[[Europe]]{{sfn|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=547}}, et jusqu'au [[Chili]] ou au [[Japon]]{{sfn|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=271}}. Il a lancé la carrière de Némirovsky {{incise|suscitant d'ailleurs en elle la peur de ne plus être à la hauteur{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=229}}}} mais l'a comme enfermée dans une définition  : ses textes ultérieurs ne cessent de lui être comparés{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=107}}. Si ses sujets russes et ses [[satire]]s de la bourgeoisie française plaisent toujours{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=114}}, les {{citation|soupçons de poncifs antisémites{{sfn|id=OC|Corpet|2010|p=77}}}} resurgissent chaque fois que, réglant ses comptes avec son passé, elle met en scène des personnages juifs sur fond de spéculation{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=249}}. En 1935, tout en complétant sa défense de ''David Golder'' pour la journaliste Janine Auscher de ''[[L'Univers israélite]]'' ({{citation|Que dirait [[François Mauriac]] si tous les bourgeois des [[Landes de Gascogne|Landes]] […] lui reprochaient de les avoir peints sous des couleurs si violentes ?}}{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=198}} ?}}), elle tempère ses principes [[Réalisme (littérature)|réalistes]] au vu de l'actualité  : {{citation|Il est tout à fait certain que s'il y avait eu [[Adolf Hitler|Hitler]], j'eusse grandement adouci ''David Golder'' et ne l'aurais pas écrit dans le même sens. Et pourtant j'aurais eu tort, c'eût été une faiblesse indigne d'un véritable écrivain !}}{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=234}} !}}
 
En {{nobr|novembre 1930}}, comme il était question d'elle pour le [[prix Femina]] ou le [[prix Goncourt]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=228}}, Irène Némirovsky avait ajourné sa demande de naturalisation par crainte d'en entacher la sincérité : {{Citation|Je voudrais que cela soit absolument désintéressé de ma part, que le bénéfice moral et matériel du prix n'influence en rien un don tel que je le comprends}}, écrivait-elle à [[Gaston Chérau]]{{sfn|id=OC|Corpet|2010|p=77}}. Ni elle ni son mari ne pouvaient alors deviner qu'il leur deviendrait de plus en plus impossible d'obtenir la nationalité française{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=337}}.
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L'attribution à Némirovsky, pour ''[[Suite française (roman)|Suite française]]'', d'un [[Prix Renaudot]] posthume exceptionnel entraîne rapidement la réédition de tous ses livres.
 
Après les [[Régime de Vichy#Les Juifs en France pendant le régime de Vichy|lois antijuives]] du [[Régimerégime de Vichy]], la romancière n'avait pu faire paraître quelques [[nouvelle]]s que dans des revues, et sous pseudonyme. Déportée en {{nobr|juillet 1942}} et emportée un mois plus tard par le [[typhus]] au [[Camps d'extermination nazis|camp d'extermination]] d'[[Auschwitz]]{{note|Son mari y est gazé en novembre, presque tous les siens y ayant disparu aussi{{sfn|id=OC|Corpet|2010|p=102-105}}.|group=alpha}}, elle est assez vite oubliée en tant qu'écrivaine. ''David Golder'' reparaît en 1947 chez [[Ferenczi & fils]], qui l'avait publié en 1931 avec des [[Gravure sur bois|gravures sur bois]] de [[Pierre Dubreuil (artiste)|Pierre Dubreuil]], et l'année suivante le Cercle lyonnais du livre en tire {{nombre|160|exemplaires}} agrémentés de [[Chalcographie|cuivres]] originaux de [[Jean Auscher]]. Le roman est ensuite réimprimé de loin en loin chez [[Éditions Grasset|Grasset]] ou [[Hachette Livre|Hachette]], y compris dans [[Le Livre de poche]], sans écho{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=9}}.
 
Ayant échappé aux [[rafle]]s de Juifs durant la guerre, ses filles Denise et Élisabeth sont demeurées longtemps sans s'apercevoir que la vieille valise de leur mère {{incise|objet pour elles douloureux et sacré}} contenait une [[suite romanesque]] inachevée{{sfn|id=OC|Corpet|2010|p=36-38}}. Un sursaut de [[Denise Epstein]] au tournant des {{nobr|années 1990}} et sa persévérance à transcrire le manuscrit avant de confier les archives d'Irène à l'[[Institut mémoires de l'édition contemporaine]]{{sfn|id=OC|Corpet|2010|p=41}} conduisent en 2004 à la publication de ''Suite française'' puis à son couronnement par le Renaudot. L'ouvrage rencontre un vrai succès en dépit des quelques voix {{incise|ainsi celles de [[Josyane Savigneau]] en France{{sfn|id=OP|Philipponnat|2009}} ou d'[[Alice Kaplan]] aux États-Unis{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=127}}}} dénonçant le rôle indu qu'a pu y jouer la fin tragique de son auteure{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=127}}  : huit ans plus tard, toute l'œuvre de Némirovsky a été rééditée et en partie traduite à l'étranger où elle est globalement très appréciée{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=9}}.
 
==== Essor d'une polémique ====
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En deux ans, la victime de l'[[Holocauste]] devient aux yeux d'une partie du public anglo-saxon « a self-hating Jew » qui dès son premier roman a renié sa communauté{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=23}}.
 
''Suite française'' est chaleureusement accueilli aux [[États-Unis]] mais l'intérêt s'y porte plus encore qu'en France sur la judéité de la romancière et sa mort à Auschwitz{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=127}}. Or, dans ce roman écrit à chaud sur l'[[Exode de 1940 en France|exode de {{nobr|juin 1940}}]] et l'[[Occupation de la France par l'Allemagne pendantdurant la Seconde Guerre mondiale|Occupation]], la presse juive américaine pointe l'absence d'allusion au sort des Juifs{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=128}} {{incise|oubliant que seuls les propos antisémites avaient droit de cité sous le [[Régimerégime de Vichy]]{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=25}}|stop}}.
 
Le débat gagne la presse non juive avant de s'affaiblir en traversant l'[[océan Atlantique]]{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=126}}. Il a pris feu du fait de l'omission en anglais d'une phrase de la préfacière [[Myriam Anissimov]] lorsqu'elle énumère les [[Stéréotype|clichés]] péjoratifs sur les Juifs disséminés  dans l'œuvre de Némirovsky{{note|L'éditeur britannique est soupçonné d'avoir voulu ménager les lecteurs juifs{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=23}}.|group=alpha}} : {{citation|Quelle relation de haine à soi-même découvre-t-on sous sa plume  !}}{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=23}} Il est attisé par la nouvelle traduction de ''David Golder'' en 2007 ainsi que par des éléments biographiques comme la conversion d'Irène au [[christianisme]] en 1939, sa supplique à [[Philippe Pétain|Pétain]] en {{nobr|septembre 1940}}, sa collaboration avec l'hebdomadaire ''[[Gringoire]]'' ou ses liens avec des intellectuels de droite antisémites tels [[Paul Morand]]{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=128}}. Ses détracteurs trouvent d'ultimes armes dans ''Le Mirador'', autobiographie imaginaire d'Irène par sa fille [[Élisabeth Gille]]{{note|''Le Mirador'', paru en 1992 aux Presses de la Renaissance et chez Stock en 2000, est traduit aux États-Unis en 2011{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=134}}.|group=alpha}} : sa voix ''post Auschwitz'' amplifie en effet les doutes qu'a eus la romancière dans les {{nobr|années 1930}} au sujet de ''David Golder''{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=134}}.
 
En tête des critiques, Ruth Franklin, rédactrice pour ''[[The New Republic]]'', estime dans son article « Scandale française [sic] » du {{nobr|30 janvier 2008}} que ''David Golder'' est {{citation|à tous égards un livre effarant}}, une {{citation|parodie raciste de roman}} emplie de clichés grossiers{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=23}} qui préfigurent les portraits {{citation|implacablement tendancieux}} des ouvrages à venir  : Irène Némirovsky aurait bâti sa réputation littéraire sur le {{citation|trafic des stéréotypes antisémites les plus sordides}}, présentant les Juifs comme inassimilables par la société française{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=129}}. Le journaliste Allen Barra évoque de même à propos de ''David Golder'' un {{citation|torrent de haine de soi}}{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=130}}.
 
Le journal ''[[Libération (journal)|Libération]]'' le constate en {{nobr|mars 2007}} : il est en Grande-Bretagne et surtout aux États-Unis reproché à Némirovsky d'avoir créé des personnages juifs révoltants, plus stéréotypés que complexes, propres à conforter les préjugés antisémites de son temps et trahissant sa détestation d'elle-même en tant que Juive{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=129}}.
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==== Erreurs ou procès d'intention ====
Maintes critiques pêchent par méconnaissance du contexte, de l'œuvre entière {{incise|composée aux trois-quarts de romans « non juifs »}} et de son auteurauteure{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=131}}.
 
Le héros de ''David Golder'' lutte sur le triple front d'une concurrence acharnée, de femmes prédatrices et de la maladie  : il est traité avec une certaine tendresse, le mépris de sa créatrice allant aux forces corruptrices qui l'entourent{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=132}}. Pour [[Jonathan M. Weiss]], il inaugure un des deux groupes de personnages juifs de Némirovsky, ceux dont l'instinct généreux n'a pas été gâté par le lucre et qui puisent leur énergie dans un long passé de persécution{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=305}}. Les figures secondaires de ce premier roman relèvent davantage d'une stéréotypie négative{{sfn|id=NW|Wolf|2012|p=39}}. Bien qu'il ait pu les juger sévèrement{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=23}}, Weiss pointe néanmoins les erreurs historiques de ceux qui condamnent la romancière pour son aveuglement sur [[Adolf Hitler|Hitler]] alors qu'il n'était pas encore au pouvoir et que les [[Fascisme|fascistes]] français lorgnaient plutôt du côté de [[Benito Mussolini|Mussolini]]{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=129}}  : en 1929 et même après, Irène Némirovsky ne pouvait prévoir le [[génocide]] des Juifs par les [[Nazisme|nazis]] ni la trahison d'une France qu'elle vénérait{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=134}}{{,}}{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=132}}.
 
L'Anglaise Angela Kershaw{{note|Spécialiste de la littérature française de l'[[entre-deux-guerres]] à l'Université de [[Birmingham]] {{Lien web|titre=A. Kershaw|url=http://www.birmingham.ac.uk/staff/profiles/french/kershaw-angela.aspx.}}|group=alpha}} s'efforce dans son essai ''Before Auschwitz. Irène Némirovsky and the Cultural Landscape of Inter-war France''{{note|New-York/Oxon, Routledge, 2009, 234 p.|group=alpha}} de ressaisir l'œuvre de Némirovsky dans son contexte littéraire, social et politique, hors de {{citation|l'ombre portée d'Auschwitz{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=126}}}}. Son analyse [[Pierre Bourdieu|bourdieusienne]] insiste sur la conscience qu'avait la romancière du climat de réception des œuvres littéraires, ce pourquoi elle se permet dans ''David Golder'' des caricatures qu'elle désavoue plus tard{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=131}}. Soucieuse dès ce roman de séduire le grand public plutôt qu'une élite intellectuelle, elle jouerait de ses attentes sur «  les Juifs  » ou «  les Slaves  » sans être dupe, à l'inverse de certains lecteurs, des clichés qu'elle utilise{{sfn|id=OP|Philipponnat|2009|p=[http://www.laviedesidees.fr/Les-ambiguites-d-Irene-Nemirovsky]}}.
 
David Golder est un « macher », terme [[yiddish]] englobant pour Némirovsky tous les affairistes orientaux, apatrides et un peu louches  : si elle semble éprouver pour eux autant de répulsion que de fascination, elle sait les rendre attachants dans ses fictions, et l'article assez déplaisant qu'elle leur consacre lors de son unique incursion dans le journalisme politique date de la même année, 1934, que sa recension laudative d'une pièce allemande antinazie{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=109}}. Weiss, Philipponnat, Suleiman montrent qu'il est impossible de prêter à Irène Némirovsky l'[[antisémitisme]] qui a pu être celui de ses fréquentations mondaines  et paraît lui dicter des portraits comme ceux de Fischl ou Soifer  : rien n'y autorise d'après ses carnets d'écrivain, sorte de journal intime honnête et lucide{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=125}}{{,}}{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=131}}. De même, le fait qu'elle ait continué comme d'autres à publier dans ''[[Gringoire]]'' après le virage fascisant de celui-ci relève peut-être d'une naïveté politique{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=133}}{{,}}{{note|Si [[Élisabeth Gille]] la lui reproche dans ''Le Mirador'', ses questions invitent à analyser plutôt qu'à juger la situation et le destin de sa mère{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=135}}.|group=alpha}} ou de son incapacité à sortir d'un certain « establishment » littéraire{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=107}}, non d'une adhésion aux idées extrêmes de la revue {{incise|seule de surcroît à l'éditer jusqu'à {{nobr|fin 1941}}{{sfn|id=OC|Corpet (dir.)|2010|p=98}}|stop}}.
 
==== La question des stéréotypes ====
L'emploi de stéréotypes divise dès la parution de ''David Golder'' en 1929 et ''a fortiori'' lors de sa réédition 75 ans plus tard.
 
L'œuvre doit être resituée dans un contexte historique et littéraire  où les représentations stéréotypées de Juifs allaient plus ou moins de soi et n'étaient pas perçues comme traduisant forcément une hostilité raciste, rappellent Susan Suleiman et d'autres{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=36}}  : ainsi Irène Némirovsky ne paraît-elle pas gênée de ce que [[Frédéric Lefèvre]] voie en elle {{citation|un beau type d'Israélite}} ni de ce que l'illustrateur [[Jean Texcier]] exagère en marge de l'interview la noirceur de ses cheveux et la proéminence de son nez{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=89}}.
 
[[Fichier:Gustave Doré's The Wandering Jew.jpg|vignette|upright=0.9|alt=Caricature en couleur d'un homme maigre de profil, marchant avec un bâton, nez crochu, longues chevelure et barbe rousses flottant au vent|Caricature du [[Juif errant]] par [[Gustave Doré]] (1852).]]
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Récurrent dans ''David Golder'', le Juif sorti d'un [[ghetto]] pouilleux est un [[Topos (littérature)|topos]] de la fin du {{s-|XIX}} et du début du {{s-|XX}} exploité par des écrivains juifs ou non{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=235}}, et le financier avide, tantôt véreux tantôt génial, évoque certains personnages de [[Honoré de Balzac|Balzac]], [[Émile Zola|Zola]] ou [[Guy de Maupassant|Maupassant]]{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=232}}. Ayant étudié le stéréotype du Juif roux dans la littérature européenne du {{s-|XIX}} et du {{s-|XX}}{{sfn|id=NW|Wolf|2012|p=33}}, Nelly Wolf{{note|Professeur à l'université de Lille III [https://alithila.univ-lille3.fr/index.php/contacts/wolf-nelly/].|group=alpha}} en note la prégnance dans ''David Golder'', où six personnages sont roux en plus du héros éponyme et de sa femme{{sfn|id=NW|Wolf|2012|p=32}}. Elle observe que la rousseur y fonctionne à la fois comme une [[métonymie]] et comme une [[métaphore]] de la condition juive, et qu'elle fait partie de ces {{citation|embrayeurs discursifs par lesquels se met en place une scénographie de l'altérité}}, sans stigmatisation particulière{{sfn|id=NW|Wolf|2012|p=35}} : sa mention ferait surgir presque mécaniquement un ensemble d'autres ''topoï'', de l'or aux flammes infernales, la représentation du Juif s'élaborant par un montage de [[Signe linguistique|signes]] présents dans la culture ambiante{{sfn|id=NW|Wolf|2012|p=36-37}}.
 
De tels clichés choquent {{Citation|aujourd'hui parce qu'ils relèvent d'une ''[[doxa]]'' antisémite qui servit de base idéologique à la destruction des Juifs d'Europe{{sfn|id=NW|Wolf|2012|p=39}}}}  ; à l'époque, ce que reproche à Irène Némirovsky une partie de la presse juive, ce ne sont pas ses personnages en eux-mêmes mais de les avoir, dans sa hantise des bons sentiments, noircis de façon inopportune{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=233}}. Si à l'inverse d'autres auteurs juifs la romancière reprend plus ou moins telles quelles en 1929{{sfn|id=NW|Wolf|2012|p=40}} des images banalisées qui lui semblent {{citation|un des ingrédients de l'esprit français{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=190}}}} auquel elle aspire, elle évolue ensuite vers plus de nuance dans ses descriptions{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=191}}.
 
Que les antisémites de 1930 voient leurs préjugés confirmés par ''David Golder'' n'invalide pas d'autres lectures, souligne [[Alice Kaplan]]{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=131}}. Angela Kershaw répète que les malentendus sont imputables à sa réception, non à sa production, Némirovsky ayant pris le risque de l'ambiguïté en s'abstenant de tout jugement narratif sur ses personnages  : elle ne livre pas son opinion sur ses protagonistes, souvent vus à travers le regard d'un autre, ce qui ouvre un éventail interprétatif{{sfn|id=OP|Philipponnat|2009|p=[http://www.laviedesidees.fr/Les-ambiguites-d-Irene-Nemirovsky]}}. Le portrait de Soifer, présenté en [[Focalisation (narratologie)#FocalisationPoint omniscientede ouvue zéroomniscient|point de vue omniscient]], paraît le seul où elle énonce une vision personnelle, en l'occurrence plutôt compatissante  : {{citation|Plus tard Soifer devait mourir seul, comme un chien, sans un ami, sans une couronne de fleurs sur sa tombe, enterré dans le cimetière le meilleur marché de Paris, par sa famille qui le haïssait, et qu'il avait haïe, à qui il laissait pourtant une fortune de plus de trente millions, accomplissant ainsi jusqu'au bout l'incompréhensible destin de tout bon Juif sur cette terre{{sfn|gr=Gold|id=Gold|texte=''David Golder''|p=143}}.{{,}}{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=223}}.}}
 
Susan R. Suleiman montre qu'une fiction peut être subjectivement perçue comme un [[roman à thèse]] dès qu'elle touche à une question sensible : au premier stéréotype péjoratif, le lecteur tend à supposer que l'auteur le prend à son compte et à s'enfermer dans un cercle [[herméneutique]] où tout va désormais renforcer l'interprétation qu'il croit juste{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=207-208}}. Or, non seulement Némirovsky ne prétend peindre que les Juifs russes qu'elle a connus{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=224}}, mais surtout il manque à ''David Golder'' comme à ses textes ultérieurs l'essentiel pour pouvoir être qualifiés d'antisémites  : {{citation|un système cohérent de sens qui cherche à discréditer les Juifs{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=212}}.}}. Attribuer à Némirovsky la vision répugnante de Fischl conduit à la condamner comme antisémite ; comprendre qu'il est vu par Golder qui craint d'être amalgamé avec lui permet de saisir qu'elle amorce une réflexion sur la [[haine de soi juive]]{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=222}}.
 
=== Début d'une réflexion sur la judéité ===
Dès ''David Golder'', Irène Némirovsky se sert de thèmes juifs pour exorciser le passé ou s'interroger sur l'[[identité juive]].
 
La judéité est d'abord chez elle {{Citation|un décor ou la métaphore de sujets tels que la solitude, le regret de l’enfance, le déracinement ou la quête de respectabilité{{sfn|id=OP|Philipponnat|2009|p=[http://www.laviedesidees.fr/Les-ambiguites-d-Irene-Nemirovsky.html]}}}}, sans compter l'immoralité liée à l'argent qui traverse aussi ses romans « français »{{sfn|id=JW|Weiss|2005|p=131}}. ''David Golder'' vérifie ce qu'elle déclarait plus tard  vouloir évoquer : {{Citation|de[s] gens désaxés, sortis du milieu, du pays où ils eussent normalement vécu, et qui ne s'adaptent pas sans choc, ni sans souffrance, à une vie nouvelle{{sfn|id=OPPL|Philipponnat|Lienhardt|2007|p=318}}.}}. {{citation|L'auteure se sert des [[stéréotype]]s pour régler ses comptes non pas avec son identité juive, mais avec le triste roman de son enfance}}, montrant d'ailleurs une famille éclatée aux antipodes des lieux communs sur la famille juive{{sfn|id=NW|Wolf|2012|p=41}}.
 
Plus tard la romancière usera des stéréotypes pour discréditer l'antisémitisme  ; pour l'heure elle s'en sert afin de faire entrevoir le malaise existentiel des Juifs{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=218}} tiraillés entre leur désir de se fondre dans une société plus ou moins hostile et ce qu'ont façonné en eux des siècles d'oppression{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=133}}. Elle commence donc à méditer sur la [[question juive]], terme qui, avant de désigner pour leurs ennemis le problème de la place des Juifs dans la nation, recouvrait pour eux-mêmes ces dilemmes identitaires{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=35-45}}. Avant de renouer avec ses origines, Golder préfigure les personnages de Némirovsky pour qui {{Citation|l'« autre » […] n'est pas le français, chrétien, mais « un autre » parmi les Juifs{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=196}}}} (Fischl). Cette ambivalence qu'à l'instar du sociologue afro-américain [[W. E. B. Du Bois]] Susan R. Suleiman préfère appeler « conscience dédoublée », Némirovsky n'en serait pas la proie mais {{citation|la chroniqueuse ''de l'intérieur''}}, fouillant {{citation|dans les plaies les plus profondes de la judéité}}, pour elle biologique et historique{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=217-218}}.
 
En 2016, alors que ''David Golder'' et son auteurauteure continuent à faire débat chez les lecteurs juifs{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=191}} et aux États-Unis{{sfn|id=JWa|Weiss|2012|p=135}}, où tous ses livres ne sont pas encore traduits{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=24}}, l'universitaire américaine espère contribuer à éclairer et apaiser ''La Question Némirovsky''{{sfn|id=SRS|Suleiman|2017|p=29}}.
 
== Adaptations ==
* [[1931 au cinéma|1931]] : ''[[David Golder (film)|David Golder]]'', [[Cinéma français|film français]] réalisé par [[Julien Duvivier]], avec [[Harry Baur]], [[Paule Andral]], [[Jackie Monnier]] et [[Jacques Grétillat]]<ref>{{lien web |url=https://www.cineclubdecaen.com/realisat/duvivier/davidgolder.htm |titre=David Golder |éditeur=Cinéma club de Caen |année=2019}}.</ref>.
* [[1950 au cinéma|1950]] : ''[[Son grand amour]]'' (''My Daughter Joy]]''), [[Cinéma britannique|film britannique]] réalisé par [[Gregory Ratoff]], adaptation libre de ''David Golder'', avec [[Edward G. Robinson]], [[Peggy Cummins]] et [[Richard Greene]]<ref>{{Imdb titre|id=0042812|titre=My Daughter Joy (1950)}}, 2019</ref>.
 
== Pour approfondir ==
=== Bibliographie ===
{{légende plume}}
* {{ouvrage|auteur=Irène Némirovsky|titre=David Golder|éditeur=Grasse Grasset|collection=Les Cahiers Rouges|lieu=Paris|année= 2005|pages totales=191|ISBN=9782246151340|plume=oui}}
* {{ouvrage|id=JW|auteur=[[Jonathan M. Weiss|Jonathan Weiss]]|titre=Irène Némirovsky|éditeur=Éditions du Félin|collection=félin poche |lieu=Paris|année=2005|pages totales=317|ISBN=9782866457204|plume=oui}}
* {{ouvrage|id=OPPL|auteur1=Olivier Philipponnat|auteur2=Patrick Lienhardt|titre=La Vie d'Irène Némirovsky|lieu=Paris|éditeur=Grasset/Denoël 2007|collection=Le Livre de Poche|année=2007|pages totales=672 |ISBN=9782253124887|plume=oui}}
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=== Liens externes ===
* {{Lien web|url=https://catalogue.bnf.fr/rechercher.do?motRecherche=David%20Golder%20Ir%C3%A8ne%20N%C3%A9mirovsky|titre=Éditions du roman ''David Golder'' au catalogue de la BnF}}.
* {{autorité}}
* [http://www.memorialdelashoah.org/upload/minisites/irene_nemirovsky/chronologie.html « Chronologie de la vie d'Irène Némirovsky »] : établie par O. Philipponnat pour l'exposition « Il me semble parfois que je suis étrangère », au [[Mémorial de la Shoah]] ({{date-|13.10.2010}} - {{date-|8.03.2011}}) .
* [http://www.imec-archives.com/les-collections/sur-les-archives-direne-nemirovsky-interview-dolivier-philipponnat/ « Sur les archives d'Irène Némirovsky »] : interview d'Olivier Philipponnat à l'[[Institut mémoires de l'édition contemporaine|IMEC]].
* [https://www.lemonde.fr/culture/article/2010/12/01/l-etrange-destin-d-irene-nemirovsky_1447410_3246.html « L'étrange destin d'Irène Némirovsky »] : présentation dans ''[[Le Monde]]'' de l'exposition du Mémorial de la Shoah ({{1er}} décembre 2010) .
* [http://www.laviedesidees.fr/Les-ambiguites-d-Irene-Nemirovsky « Les ambiguïtés d'Irène Némirovsky »] : recension par Olivier Philipponnat de l'essai d'Angela Kershaw ''Before Auschwitz. Irène Némirovsky and the cultural Landscape of Inter-War France'', Routledge, 2009.
* Susan Rubin Suleiman, [https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/histoire-de-lantisemitisme-34-la-question-nemirovsky « La question Némirovsky »], {{3e}} volet d'une série d'émissions sur l'histoire de l'antisémitisme dans ''La Fabrique de l'histoire'' d'Emmanuel Laurentin, France-Culture, {{nobr|15 novembre 2017}}.
 
== Notes et références ==
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[[Catégorie:Roman d'Irène Némirovsky]]
[[Catégorie:Roman français paru en 1929]]
[[Catégorie:Roman adaptése audéroulant cinémadans les années 1920]]
[[Catégorie:Roman se déroulant à Paris]]
[[Catégorie:Œuvre littéraire se déroulant dans les Pyrénées-Atlantiques]]
[[Catégorie:Ouvrage publié par Grasset]]
[[Catégorie:Roman français adapté au cinéma]]
[[Catégorie:Judaïsme et société]]