Bisexualité (psychanalyse)

notion introduite en psychanalyse par Sigmund Freud sous l'influence de Wilhelm Fliess
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La bisexualité est une notion introduite en psychanalyse par Sigmund Freud sous l'influence de Wilhelm Fliess : selon cette notion, tout être humain possèderait des dispositions sexuelles à la fois masculines et féminines. Cependant, la notion proprement psychanalytique de bisexualité n'a pas fini de se dégager clairement jusque dans les travaux plus tardifs de Freud. Elle continue de faire question dans le champ psychanalytique, par rapport en particulier au concept de genre utilisé aujourd'hui en sciences sociales.

D'une bisexualité constitutionnelle à une bisexualité psychique

 
Sigmund Freud et Wilhelm Fliess, 1890.

La notion de bisexualité préexiste aux recherches de Fliess et Freud, dans la littérature philosophique et psychiatrique des années 1890, mais c'est l'influence de Fliess sur Freud à cet égard, dont témoigne leur correspondance, qui crée une théorisation psychanalytique[1]. Alors que la théorie d'une bisexualité « constitutionnelle » se fonde sur des données anatomiques, il s'agit pour Freud d'envisager comment « des dispositions sexuelles à la fois masculines et féminines […] se retrouvent dans les conflits que le sujet connaît pour assumer son propre sexe » [1] .

Freud et Fliess ont pour ambition, à la fin du XIXe siècle, de produire en commun une théorie de la bisexualité. Cependant, bien qu'ils s'accordent au départ sur l'idée d'une bisexualité innée, c'est-à-dire que chaque être humain serait à la fois féminin et masculin, ils sont en désaccord sur son origine. En effet, Freud soutient l'idée d'une bisexualité psychique, et Fliess celle d'une bisexualité biologique.

Selon Fliess, les pulsions bisexuelles seraient explicables par la coexistence dans le corps du sujet d'organes (ou de restes d'organes) génitaux masculins et féminins.

 
1905: les Trois essais

Freud oppose à cette théorie l'idée d'une bisexualité psychique, une dualité masculin/féminin qui se situerait dans le psychisme et non dans l'organisme. Leur désaccord les amène à abandonner l'idée d'un travail commun sur la bisexualité[2].

 
1930: Malaise dans la culture

Freud présente ensuite sa théorie de la bisexualité psychique dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle (1905)[2].

La notion de bisexualité restera en partie obscure chez Freud, ainsi qu'il le formulera plus tard dans Malaise dans la civilisation (1930), où il reconnaît « n'avoir pas encore pu trouver le lien avec la théorie des pulsions »[1].

En 1937, dans L'analyse finie et l'analyse infinie (Die endliche und unendliche Analyse), Freud revient sur l'importance du complexe de castration « dont les données biologiques ne suffisent pas à rendre compte » par rapport au primat du phallus dans les deux sexes (envie du pénis chez la femme, attitude féminine chez l'homme): l'idée d'une bisexualité « biologique » selon la conception de Fliess qui l'influença naguère, semble toujours aller « à l'encontre du sexe du sujet qui subit le refoulement », soulignent Laplanche et Pontalis en citant Freud[1].

Trois Essais sur la Théorie Sexuelle

Dans ses Trois Essais sur la Théorie Sexuelle (1905), Freud étudie le concept d'inversion (i.e. d'homosexualité) dans son caractère inné, autrement dit la prédisposition à l'homosexualité ou à la bisexualité).

Freud suggère dans ses écrits tardifs[pas clair] que le choix d'objet dans le cadre d'un développement psychique, devrait être hétérosexuel, l'homme ayant un rôle actif, la femme un rôle passif et une sexualité vaginale et non clitoridienne[3]. Cependant, selon Chodorow, son analyse est plus nuancée dans ses Trois Essais, car il n'y définit pas l'inversion comme forcément perverse ou pathologique, et y aborde la bisexualité d'une manière qui permet d'envisager la sexualité et l'identité de genre comme multiples, plurielles[3].[pas clair]


En effet, Freud développe dans cet ouvrage l'idée que chaque être humain serait bisexuel car il aurait, à côté de son homosexualité ou son hétérosexualité, une (respectivement) hétérosexualité ou homosexualité latente, alors que le qualificatif bisexuel est généralement appliqué uniquement à ceux chez qui la libido est distribuée de façon manifeste sur les deux sexes[4],[5].

Dans ses Trois Essais, Freud formule les définitions de masculinité et de féminité qu'il utilise ultérieurement dans toutes ses théories « Tout ce qui est fort est actif et masculin, et tout ce qui est faible est passif et féminin »[5] ». Cette définition lui permet de dissocier la féminité/masculinité du sexe anatomique, et donc de postuler la coexistence de ces deux « traits de caractères psychiques » chez chaque individu[6].

Études de cas

Dora

Le pseudonyme de Dora désigne Ida Bauer (1882-1945), une patiente de Freud. Il emploie ce pseudonyme lorsqu'il relate par écrit leurs séances de psychanalyse. Les séances de Freud avec Dora viennent souvent appuyer le débat sur la théorie de la bisexualité innée.

L'homme aux loups

Une autre étude régulièrement associée à cette théorie est celle de « l'homme aux loups », un patient qui tentait de réprimer ses tendances homosexuelles. Freud explique le développement de l'homme aux loups par une incapacité à réprimer sa nature féminine.

Critiques et débats

Genre social (gender) et « bisexualité innée »

Selon Nancy Chodorow, l'hypothèse de la bisexualité innée formulée par Freud[pas clair] ne permet pas à la psychanalyse d'envisager la multiplicité des sexualités, et c'est à la fin du XXe siècle que la bisexualité, en tant qu'appartenance aux deux sexes, est valorisée dans les travaux faits aux États-Unis par Aron (1995), Benjamin (1995), Fast (1984), Elise (1997) et Goldner (1991), qui la présentent comme nécessaire et souhaitable : il s'agirait de garder un équilibre entre caractéristiques féminines et masculines. Cependant, toujours selon Chodorow, bien que la plupart des analystes affirment suivre l'hypothèse de la bisexualité innée, ses influences en faveur d'une multiplicité des féminités, masculinités, hétérosexualités et homosexualités, sont restées faibles, l'interprétation dominante étant celle de l'hétérosexualité comme normalité[3].

Robert Stoller s'oppose à l'hypothèse de la bisexualité freudienne[7].[pas clair]

Chodorow critique l'interprétation faite en psychanalyse des théories freudiennes de la sexualité, et affirme que la description de la sexualité humaine exige de dépasser les « généralisations » et « universalisations » précédemment faites, et qui instaurent l'hétérosexualité comme critère de définition d'un développement psychique normal[8]. Selon elle, il s'agit pour la psychanalyse, « d’une part, [de] rattraper le niveau de la culture et de ses propres découvertes cliniques, et, d’autre part, [d'en] revenir à Freud[3] ». Elle critique également le stéréotype associant identité de genre (ou féminité/masculinité) et sexualité[3].

Selon Lucie Lembrez, les travaux de Fliess et Freud, comme la majorité des travaux sur la bisexualité, sont parfois contradictoires et ne parviennent pas à donner à la bisexualité une place propre comme pour l'homosexualité ou l'hétérosexualité[2]. D'après elle, Freud admettrait cette confusion de sa théorie en 1929 en expliquant dans Malaise dans la civilisation que la bisexualité ne passe pas directement par les pulsions [2].

« Genre » et bisexualité en psychanalyse

 
Entre l'adulte et l'enfant: le « message énigmatique » (selon J. Laplanche) du genre assigné à l'enfant.

Dans le cadre de la théorie de la séduction généralisée, Jean Laplanche introduit la notion de « genre » dans la psychanalyse française au cours de ses derniers travaux [9],[10]. D'après la théorie de Laplanche, le genre vaut alors comme « message énigmatique » assigné à l'enfant par l'autre adulte, le plus souvent les parents, ou « message compromis », c'est à dire « infilté par l'inconscient sexuel des parents »[9]. Patrick Merot signale aussi le « dialogue avec Judith Butler » engagé dans cette approche plus radicale et originale de la notion de genre en psychanalyse par Jean Laplanche[9]. Ces hypothèses théoriques soulevées dans « Le genre, le sexe, le sexual » ouvrent en dernier lieu sur plusieurs « incertitudes », souligne Laplanche en conclusion de son article, parmi lesquelles les deux questions suivantes: « Comment se situe, par rapport à cette double lignée [l'assignation sociale, à côté de la lignée de l'attachement], le problème de la féminité et celui de la “bisexualité”? »[11].

Notes et références

  1. a b c et d Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, coll. « Quadrige », 2004, p. 49-51
  2. a b c et d Lucie Lembrez (dir.), Mécanismes de la sexualité en France, bisexualité et enjeux sociétaux : l’essor d’une nouvelle révolution sexuelle (Thèse de doctorat de Philosophie), Paris, Université Sorbonne Paris Cité, , 358 p. (lire en ligne)
  3. a b c d et e Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : aucun texte n’a été fourni pour les références nommées :0
  4. Sigmund Freud, Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, , Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine
  5. a et b Sigmund Freud, Résultats, idées, problèmes 2, Paris, PUF, , L’analyse avec fin et l’analyse sans fin
  6. Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie de la sexualité, Paris, PUF, , p. 162
  7. Éric Macé, « Ce que les normes de genre font aux corps / Ce que les corps trans font aux normes de genre, Abstract », Sociologie, vol. 1, no 4,‎ , p. 497–515 (ISSN 2108-8845, DOI 10.3917/socio.004.0497, lire en ligne, consulté le )
  8. (en) Nancy J. Chodorow, Femininities, Masculinities, Sexualities, Lexington, KY, The University Press of Kentucky, , Freud on women et Heterosexuality as a compromise formation
  9. a b et c Patrick Merot, « Jean Laplanche (1924-2012) », Dictionnaire international de la psychanalyse (dir. A. de Mijolla), édition mise à jour avec des compléments (indiqués en chiffres romains), Paris, Fayard / Pluriel, 2013, p. XIII-XIV.
  10. Jean Laplanche, « Le genre, le sexe, le sexual » (2003), dans Sexual. La sexualité élargie au sens freudien. 2000-2006, Paris, PUF, 2007, p. 153-193.
  11. J. Laplanche, « Le genre, le sexe, le sexual », dans Sexual, 2007, p. 174.

Voir aussi

Bibliographie

Textes de référence

Wilhelm Fliess:

  • Les relations entre le nez et les organes génitaux féminins présentés selon leur signification biologique ( Die Beziehungen zwischen Nase und weiblichen Geschlechtsorganen (In ihrer biologischen Bedeutung dargestellt), Vienne, 1897), Paris, Seuil, 1977 (ISBN 2020046717)
  • (de) Der Ablauf des Lebens. Grundlegung zur exakten Biologie, Leipzig et Vienne, Franz Deuticke, 1906.

Sigmund Freud:

  • Lettres à Wilhelm Fliess 1887-1904, Édition complète, Traduction de Françoise Kahn et François Robert, Paris, PUF, 2006 (ISBN 2130549950)
  • Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), Gallimard, coll. « Folio », 1989 (ISBN 2070325393)
  • "Les fantasmes hystériques et la bisexualité", 1908, in Névrose, psychose et perversion, P.U.F., Paris, 1973, 149-155.
  • " « Quelques conséquences psychologiques de la différence anatomique entre les sexes », PUF, in La vie sexuelle.
  • "«  Un enfant est battu  » Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles", 1919,in Névrose, psychose et perversion, P.U.F., Paris, 1973, 219-243.
  • "Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine", 1920, in Névrose, psychose et perversion, P.U.F., Paris, 1973, 245-270.
  • La Féminité, Payot, coll. "Petite Bibliothèque Payot", 2016, traduction inédite d'Olivier Mannoni, préface de Pascale Molinier, composé de quatre essais dont Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique des sexes (1925).
  • L'analyse finie et l'analyse infinie (1937), traduction de J. Altounian, A. Bourguignon, P. Cotet, A. Rauzy, OCF.P, XX, Paris, PUF, 2010, p. 13-55 (ISBN 978-2-13-056594-9)

Études

  • Didier Anzieu, 1973, « La bisexualité dans l’auto-analyse de Freud  : le rêve «  Mon fils, le myope » », Nouvelle Revue de psychanalyse, no 7, 179-191
  • Jean Bergeret, J., 1975, « La somme, la différence et la division (La bisexualité et les fantasmes primaires) », Revue française de psychanalyse, tome XXXIX, 1027-1050.
  • Brette, J. et Cosnier, J., 1975, « Une sexualité, deux sexes, trois personnes », Revue française de psychanalyse, tome XXXIX, 971-973.
  • Paulo R.Ceccarelli, « Bisexualité », dans Alain de Mijolla (dir.), Dictionnaire international de la psychanalyse 1. A/L., Paris, Calmann-Lévy, (ISBN 2-7021-2530-1); rééditions: Hachette-Littérature, 2005 (ISBN 9782012791459).
  • Christian David,
    • « La bisexualité psychique. Éléments d'une réévaluation », Rapport du XXXVe Congrès des psychanalystes de langues romanes, Revue française de psychanalyse, tome XXXIX, 695-856
    • « La bisexualité psychique », dans Essais psychanalytiques, Paris, Payot, 1992.
    • Ecriture, sexe et bisexualité, Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1977,n°16.
  • Marie-Thérèse Khair Badawi, « Féminin, féminin/maternel : des constructions pour le dire », Revue française de psychanalyse, vol. vol. 72, no. 5, 2008, p. 1489-1496.
  • Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, entrée: « Bisexualité », Paris, Puf, 1re éd. 1967, 8e éd. 1984, 13e éd. 1997 (ISBN 2 13 038621 0); Réédition « PUF/Quadrige », [1997], 5e éd. 2007.  
  • Jean Laplanche, « Le genre, le sexe, le sexual » (2003), dans Sexual. La sexualité élargie au sens freudien. 2000-2006, Paris, PUF, 2007, p. 153-193 (ISBN 978-2-13-055376-2).  
  • Patrick Merot, « Jean Laplanche (1924-2012) », dans Dictionnaire international de la psychanalyse (dir. A. de Mijolla), 2 tomes, édition mise à jour et augmentée de compléments, Fayard / Pluriel, 2013, p. XIII-XIV (ISBN 9782818503393).  
  • Michel de M'Uzan, 1975, Trajectoire de la bisexualité, Revue française de psychanalyse, tome XXXIX, 885-892.
  • « Bisexualité » (Article) dans: Elisabeth Roudinesco et Michel Plon, Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Fayard, coll. « La Pochothèque », (1re éd. 1997) (ISBN 978-2-253-08854-7)
  • Stoller, R., 1973, "Faits et hypothèses : un examen du concept freudien de bisexualité", Nouvelle Revue de psychanalyse, no 7, 135-155.
  • Jean-Jacques Tyszler, Quelques conséquences du refus de la différence des sexes, La revue lacanienne, Eres, 2007, n°4, pp. 34-39.
  • Viderman, S., 1975, "Ce que deux est à trois", Revue française de psychanalyse, tome XXXIX, 935-942

Articles connexes

Liens externes