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Lunettes de vue

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Une paire de lunettes
Dignitaire dominicain (Hugues de Saint-Cher) portant des lunettes pour la lecture[1], par Tommaso da Modena (1352), Trévise
« Besicles clouantes » au Moyen Âge (1466), retable des 12 apôtres (Rothenburg, Allemagne)
Moine aux lunettes, sculpture de la cathédrale de Meaux

Les lunettes de vue sont un instrument permettant de pallier les défauts visuels. Une paire de lunettes de vue est constituée d'une monture sur laquelle sont fixés des verres correcteurs, et reposant sur le nez par deux supports de nez et sur les oreilles par deux branches (80 % du poids de la lunette reposant sur le nez).

Description et typologie

Les verres correcteurs sont enchassés sur une monture reposant sur le nez. La monture est une armature composée de la face (constituée de deux cercles[a 1] et du pont, appelé aussi nez, muni de plaquettes) et de deux branches. Les branches, posées sur les oreilles, assurent la stabilité des lunettes : équipées de charnières pour être repliées, elles sont munies à leur extrémité d'un embout ou manchon formant le crochet (partie recourbée et flexible) destiné à protéger la peau derrière l'oreille.

Dans une monture plastique, la face est constituée en une seule partie. Dans une monture en métal, les verres sont montés au niveau du drageoir des cercles ménisqués. Sur le côté des faces sont fixés les charnières qui lient le cercle et la branche ou le tenon (appelés aussi oreille, cet élément s'ajoute au cercle pour que la largeur des lunettes équivaut à la largeur des tempes) et la branche. Le nez joignant les deux cercles sert éventuellement d'appui sur le nez (nez-pont, nez-selle ou 2 plaquettes)[2].

La monture est faite en divers matériaux (aciers, alliages type maillechort ou alliage cupro-nickel, plastique ou matériau naturel type corne, écaille...). Il existe trois types de montages de verres[3] :

  • monture classique ou « cerclée », cercle entourant totalement le verre
  • monture Nylor dont le cercle n’entoure pas totalement le verre, qui est retenu par un fil de nylon très solide sur une partie du verre
  • lunettes percées dites « sans monture », les branches et le pont sont reliés aux verres par un système de perçage

Par le passé, il existait des lunettes sans branches (peu courantes aujourd'hui, sauf excentricité) :

  • le lorgnon monocle ;
  • le lorgnon binocle, appelé pince-nez lorsqu'il est maintenu sur le nez par un ressort ;
  • ou pourvu d'un manche (face-à-main et lorgnette de théâtre).

Par ailleurs, il existe des lunettes à verres plans, c'est-à-dire ne corrigeant pas la vue. Elles peuvent être portées pour des raisons esthétiques, comme accessoire de théâtre ou de cinéma, ou pour protéger les yeux contre des projections de produits chimiques, biologiques ou de particules. Il s'agit alors d'équipement de protection individuelle, comme les masques et les visières.

Histoire

De l'Antiquité au Moyen Âge

C'est au Ier siècle que le philosophe Sénèque constate qu'en observant un objet à travers un ballon de verre rempli d'eau, on le voit plus gros. À la même époque, Pline l'Ancien décrit l'utilisation d'une émeraude par l'empereur Néron pour suivre les combats de gladiateurs ; il est possible que ce soit là l'attestation d'une lentille optique pour corriger la myopie (l'usage de l'émeraude peut s'expliquer également par la croyance en la vertu de la couleur voire de la pierre elle-même)[4].

Anachronisme de l'apôtre « aux lunettes » de Conrad von Soest (1404).

Le Moyen Âge voit se développer, dans les monastères en particulier, l'usage de la pierre de lecture, loupe grossissante posée sur le texte écrit, destinée à combattre les effets de la presbytie. Leur invention est parfois attribuée à Abbas Ibn Firnas, berbère andalou du IXe siècle, connu pour avoir mis au point la technique de taille du cristal de roche. Les travaux d'Alhazen, fondateur de l' optique physiologique, autour de l'an mille, donnent un fondement scientifique à cette technologie. Son traité est traduit en latin au XIIe siècle, peu avant l'invention des lunettes de vue en Italie, sans que le lien entre les deux évènements, possible, soit clairement attesté. Avant d'être réalisée en verre, les « pierres de lecture » étaient réalisées en pierre semi-précieuse (lentille surfacée de béryl) ou en cristal de roche, la technique de fabrication du verre produisant encore trop de bulles et d'impuretés[5].

Le moine franciscain Roger Bacon s'appuye sur les travaux d'Alhazen pour expérimenter des « pierres de lecture » en verre : dans son Opus Majus en 1268, il apporte la preuve scientifique que le surfaçage particulier de verres lenticulaires permet d'agrandir les petites lettres. Son invention aurait été vulgarisée par les moines dominicains, les frères Spina et Giordano rencontrés lors de son séjour à Pise[6]. C'est au XIIIe siècle à Florence que le physicien Salvino degli Armati met au point une paire de verres dont l'épaisseur et la courbure permettent de grossir les objets et les textes. La lunetterie et l'ophtalmologie se développent dès lors en Italie[7]. Les premiers besicles[a 2], lunettes sans branches qui se fixent aux nez et qui apparaissent à Venise la fin du XIIIe siècle, consistent en deux verres convexes ronds (verre de Murano aux qualités optiques supérieures) enchâssés dans des cercles (en bois, corne, cuir) attachés individuellement à des manchons rivetés par un clou : ces lourdes « besicles clouantes », principalement utilisées par les moines copistes, permettent ainsi la vision binoculaire mais n'améliorent que la presbytie. Les besicles clouantes symbolisent progressivement l'érudition, de nombreuses œuvres d'art représentant philosophes, moines ou médecins portant ces « clouants ». L’invention de l’imprimerie accroît la demande en lunettes, les besicles évoluant en remplaçant le clou par un pont (en bois, métal, corne, cuir, écaille de tortue, fanon de baleine) au XVe siècle, ce sont les « besicles à pont arrondi » qui seront munies les siècles suivants d'un ruban noué derrière le crâne ou d'une ficelle autour de l'oreille pour assurer un meilleur maintien[8].

Après le Moyen Âge

Lunettes du XVIe siècle

Les verres concaves apparaissent pour les myopes à Florence en 1440 (première description dans l'ouvrage De Beryllo de Nicolas de Cues)[9]. En 1645, Jacques Bourgeois améliore les besicles en imaginant des verres concaves d'un côté de l'œil, convexes de l'autre[10]. En 1728 l'opticien anglais Edward Scarlett (en) crée les premières montures avec de courtes branches et terminées par un anneau métallique (parfois recouvert de velours) qui se plaque sur les tempes : ces « lunettes à tempes » se portent essentiellement par les nobles, les courtes branches permettent le retrait des lunettes sans qu'ils soient gênés par leur perruque[11]. Lorsque la perruque est non portée, Scarlett innove encore en rallongeant les branches et les courbant aux extrémités qui se fixent derrière les oreilles : les lunettes de vue modernes sont nées[9]. Les bourgeois quant à eux utilisent plutôt le binocle au XVIIe siècle puis le face à main au XVIIIe siècle, ce dernier étant concurrencé par le monocle et le pince-nez au XIXe siècle[4],[12]. En France, sieur Thomin, miroitier lunetier parisien, fabrique en 1746 ces « lunettes à tempes » appelées "lunettes à tempes permettant de respirer à l'aise" car elles remplacent les pince-nez mais leur pression provoque des maux de tête[13]. En 1752, l'opticien anglais James Ayscough (en) crée les premières lunettes à verres teintées (ce sont pour lui des lunettes correctrices et non des lunettes de soleil car il pensait que les teintes bleues ou vertes corrigeaient la vision) avec des branches articulées par une charnière qui diminue l'inconfort de la pression des branches sur le nez et les tempes. Ces lunettes dont les branches passent par-dessus les oreilles sont appelées « lunettes à oreilles »[14].

Les verres étaient ronds jusqu'à la fin du XVIIIe siècle qui voit se développer la mode des verres ovales venue d'Angleterre : plus petits et de meilleure qualité optique, ces verres allègent considérablement la monture. Les lunettes à double foyer sont créées en Angleterre à la fin du XVIIIe[4]. En 1796, Pierre-Hyacinthe Caseaux maître-cloutier à Morez s'inspire des Anglais qui produisent déjà des montures en métal et adapte des techniques propres à l'art du métal pour réaliser une fine monture : du fil de fer encercle les verres, des tenons (faisant office également de charnière) soudés de chaque côté des cercles de la monture sont traversés par une vis qui permet de serrer les cercles autour du verre. Ses lunettes « fils » ont un grand succès et Morez est depuis devenue la capitale de la lunetterie française, elle représente 55 % de la lunetterie française (Morez et Oyonnax, plus spécialisée dans les montures plastiques, représentent 80 % de la lunetterie française)[15].

Au XIXe siècle, les lunettes se démocratisent mais sont encore jugées inesthétiques : leur production en masse grâce à la mécanisation supplante la fabrication artisanale (orfèvres, forgerons créant aux siècles précédents les lunettes sur mesure ou en série qui sont vendues par des colporteurs)[9]. En 1825, le physicien George Airy invente les verres correcteurs corrigeant l'astigmatisme. Cinq cent ans après l'apparition des besicles fixées sur le nez, se développent aux alentours de 1840 des pince-nez plus légers. Portés par les femmes comme les hommes, ces objets statutaires appelés aussi « lunettes en fil de fer de Nuremberg » sont populaires et portés jusque vers 1935[5]. Les « lunettes à oreilles » sont vendues jusqu'en 1857, année au cours de laquelle l'opticien parisien Poulot invente le support nasal[16].

Au milieu des années 1950, le design fait son apparition dans le domaine de la lunetterie qui fait appel aux plastiques dont le moulage et les propriétés se prêtent à l'inventivité des créateurs : la lunette n'est désormais plus simplement une prothèse médicale. En 1959, Bernard Maitenaz crée Varilux, le premier verre progressif pour corriger la presbytie.

Dans les années 1980-1990 de nombreux designers lancent leurs collections, et la lunette devient un accessoire de mode, mêlant ergonomie et esthétique.

Chaque année, les nouvelles collections de montures sont présentées lors de salon internationaux de l'optique, tels que le SILMO à Paris, ou le MIDO à Milan.

Lunettes pour les pays en voie de développement

Plus d'un milliard de personnes ont besoin de lunettes dans les pays en voie de développement. Mais, en Afrique subsaharienne, les opticiens sont rares : parfois un seul professionnel pour un million d'habitants. Joshua Silver, professeur de physique à l'université d'Oxford, a trouvé une solution : des lunettes adaptables à la vue et d'un coût de 13,7 euros. De l'huile de silicone est injectée ou retirée entre deux feuilles de plastique, jusqu'à ce que la vision soit nette. La correction peut même s'avérer meilleure qu'avec les lunettes préfabriquées du commerce.

Joshua Silver prévoit un milliard de paires de lunettes d'ici 2020. Pour le moment, 30 000 sont utilisée en Afrique et en Europe de l'Est, les deux tiers étant distribuées par des programmes humanitaires de l'armée américaine.

Notes

  1. Ces éléments de la monture ont gardé le nom même si ils ont adopté depuis des formes plus variées.
  2. Du mot béryl provient celui pour désigner des lunettes de vues dans plusieurs langues européennes : bril en néerlandais, Brillen en allemand, besicles en français, belicres en occitan de Nice, mericles en occitan standard.

Références

  1. Pasco 1995, p. 27-30, 48-50.
  2. « Parties des lunettes », dans Le dictionnaire visuel, Ikonet (lire en ligne).
  3. « Les types de montages », dans Verres optiques (lire en ligne).
  4. a b et c (en) « Glasses direct », dans {{Chapitre}} : paramètre titre ouvrage manquant, UK (lire en ligne), « The history of glasses ».
  5. a et b (en) « Antique spectacles », dans {{Chapitre}} : paramètre titre ouvrage manquant (lire en ligne), « Eyeglasses Through the Ages ».
  6. « Lunettes et lorgnettes insolites », dans Biusante, FR, Paris des cartes, PDF (lire en ligne).
  7. (en) Vincent Ilardi, Renaissance Vision from Spectacles to Telescopes, American Philosophical Society, , 378 p. (lire en ligne)
  8. A Bourgeois, Les besicles de nos ancêtres, Maloine, .
  9. a b et c Corine Luc, « Petites mythologies. Des lunettes et autres bésicles », Panorama, no 105,‎ , p. 8
  10. « Clinique de la vision », dans {{Chapitre}} : paramètre titre ouvrage manquant (lire en ligne), « Histoire de la presbytie ».
  11. « Lunette à tempes vers 1750 », dans Spectacles, Faao (lire en ligne).
  12. « Lunettes : une belle histoire qui commence au Moyen Âge », dans Les solution optiques, FR, Guide vue (lire en ligne).
  13. « L'histoire des lunettes Du Beryll jusqu'aux lunettes », dans Optolux, Belgique (lire en ligne).
  14. (en) « What man devised that he might see », dans Inventors, About (lire en ligne).
  15. « La lunette à Morez », dans Jura, FR (lire en ligne).
  16. « Les inventeurs du quotidien : Pour une autre vision », sur Le Soir, BE,

Bibliographie

  • Dominique Cuvillier, À vue d'œil : une aventure des lunettes, Éditions du Chêne, (ISBN 978‐2‐84277‐747‐0[à vérifier : ISBN invalide]).
  • Dominique Cuvillier, « Entretien », dans 2000 ans d'histoire, Radio France, (lire en ligne).
  • Jean-Marc Olivier, Des clous, des horloges et des lunettes. Les campagnards moréziens en industrie (1780-1914), Paris, CTHS, , p. 608.
  • Michael Pasco, L’histoire des lunettes vue par les peintres, Paris, Société nouvelle des éditions Boubée, .
  • Sylvain-Karl Gosselet, Les lunettes : histoire des représentations et symbolique : 1352-1700, Dijon, , 2 tomes, 260 f. ; 30 cm. Mémoire de maîtrise : Hist. de l'art – Localisation : Bibliothèque Universitaire Droit Lettres.

Voir aussi

Articles connexes

Lien externe

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